lundi 9 mars 2015

Anatole Prèpartet

Le gars, Anatole est un fervent adepte du début d’année. Il est, dans la vie, un commenceur hors pair. Sur les chapeaux de roue ; il est parfait dans les starting blocks. Il démarre toujours en magnifique pétarade. Alors, Janvier, les premiers et lundis, il se frotte les mains et frétille d’impatience. Il est prêt au départ. Ne manque que le coup de feu pour le voir disparaître dans ses nuées de projets.
Le sacré, merci Seigneur, mois de janvier est un véritable festival. Trente et un jours sur la ligne de départ. Il doit contrôler son excitation. Il peut tout engager. Il ne doit pas pour autant se précipiter.
Il se lève tôt, très tôt. Tous les jours à cinq heures. Il ne peut plus dormir. Il veut construire des mondes. Son esprit se remplit de paysages et personnages. Il n’est pas fou notre Anatole.
Pour endiguer la marée montante, Anatole dresse des listes. Les listes de janvier ; il est dans son bon droit. Avant de partir au travail, il s’installe à sa table : le papier vierge est prêt. Il attend le signal depuis bien toute la nuit. Et Anatole se saisit de sa plume, aiguisée et solide, en bon outil du juste commencement.
Aujourd’hui sera la liste de résolutions du cuisinier Jean-Pierre. Il trace des tirets les uns à la suite des autres à la perfection. Il se glisse au creux de Jean-Pierre le cuisinier. Et se résout à mille et une bonnes choses pour ce nouveau tour de grande roue. Il débite en une heure tout ce que Jean-Pierre veut mettre sur pattes. L’idée de tous les sous-sols et armatures à changer. Non pas ce qui changera. C’est beaucoup mieux que cela : ce qui pourrait changer.
Anatole n’aime que le conditionnel. Il ouvre toutes les portes et les fenêtres.
La liste est longue et belle. Il bouleverse une vie et lui profile un rêve. Anatole, croqueur de vies.
A six heures pétantes, il souffle et sourit. Anatole a accompli sa première tâche. Il est heureux. Il se prépare. Il commence aussi sa journée. Il plonge dedans. Il est l’initiateur et rien ne s’amorce sans lui.
Il explosera régulièrement au cours de la journée pour faire sursauter le moteur et sa puissance. Fidèle à lui-même, il passera le dessert et grignotera le plat. L’entrée, voilà la vraie matière !
Il perdra l’énergie le long de l’après-midi. Anatole cherche depuis toujours son bonheur dans ce moment mais rien n’y commence vraiment.
La nuit tombe et s’ouvre un nouvel horizon, opaque et dense. Anatole reprend du poil de la bête. Son corps, comme celui d’un animal, sent l’instant précis où le soleil nous quitte. Plus la moindre petite étincelle. Une fin qui annonce la reprise des affaires pour Anatole.
Comme au petit matin, la liste des mille et une résolutions de M. Fraise le dentiste. Et le voilà en habit vert aseptisé, masque à l’appui, roulant ses mécaniques dans la bouche des patients. Et la plume d’Anatole énumère les résolutions du bon dentiste, qui voudrait être moins bon.
Tous les jours et les nuits, aux premières heures de chacun, Anatole se transforme. Il sort de lui-même et détourne un morceau d’existence. Il tourne une clef et fait un pas sur le palier d’un univers inconnu. Mille et une résolutions et Anatole se sent moins seul et moins inutile. Anatole est un humaniste ; chacun sa liberté, il laisse les personnages poursuivre leur vie à leur bon cœur. Mais il a claqué un coup de fouet pour faire partir la bête.
Quand vient le Février et qu’il est moins pris, Anatole prend son courage en main et lui dit : A nous deux mon vieux ! Il fait la tournée du postier. Il glisse les lettres dans leur boîte, chacun sa liste. Ce n’est pas un voyeur. Il ne cherche de noises à personne, Anatole. Mais il doit bien les dire aux gens leurs mille et une résolutions.
Il ne signe pas. On l’enverrait voler. Il n’est pas fou. Il n’est pas fou pour un sou.

Puis l’année suit son cours. Il s’amollit un peu l’Anatole. Il reprend du bagout avec l’été. Juillet, faux jumeau de Janvier.

De six mois en six mois, Anatole fait le tour et encore et encore.

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