lundi 23 mars 2015

Du haut de sa colline, elle

Elle dévale la colline, prête à entrer enfin sa vie et les autres. Elle part de tout en haut, là où rien n’advient, là où on attend le vent, ses folies, ses caresses. Elle a vécu toutes ces dernières dizaines (pas des mille et des cent mais bien trois tout de même) sur la crête, en girouette mais aussi en alerte de tous les murmures du monde. Le son monte et s’amplifie. Elle a perçu les moindres mouvements de l’univers à portée, tous les êtres à cinq kilomètres à la ronde, avant la prochaine colline ou quelconque barrière. Il y en a de toutes sortes. Mais elle s’est arrangée pour regarder du côté-là, celui des monts et vaux.

Elle dévale sa colline, prête à en découdre avec la mer et la terre. Elle a soupé du vent, elle veut changer de crèmerie. Elle devient familière, elle en a ras le pompon. Elle ne sera désormais plus correcte à travers toutes les tempêtes. Les premiers qu’elle claquera en pleine binette seront ceux qui ont dit, des siècles et des siècles durant, elle le jurerait sur tous les dieux, qu’il ne faut pas se laisser faire, révolte-toi et crie. Elle se dressera en premier contre eux parce qu’ils n’ont rien respecté. Ils ont prêché leur imbécile de bonne parole. Et ils n’ont fait que reculer le moment pour elle et ses mêmes de descendre du perchoir et d’entrer dans la ville.

Elle n’a plus peur d’être plus qu’assise, d’être trop grande. Elle se dresse en ce jour, ne marche pas sur l’eau puisqu’elle n’est pas biblique, mais se déplie entière. Elle a été jusqu’à présent un bloc compact en suspension toujours instable et prévisible. Le déséquilibre programmé. Elle en a fini avec ça.

Elle dévale et l’air s’engouffre dans tout ce qu’il trouve comme fissure et trouée. Le vent est resté tout en haut. Elle reviendra le voir sans aucun doute. Pour l’instant, elle s’en va, elle dévale la pente à perdre haleine. « Doucement, ne t’emballe pas ! » Elle les entend les précautionneux, qu’elle estime par ailleurs. Ils ont souvent raison. Ils ont même beaucoup trop raison. Mais pour vivre humainement, il ne faut pas les écouter. Dorénavant, elle s’en remettra aux statistiques ou autre science moins angoissée.

Elle courra dans les rues, elle cognera les passants, elle traversera la route et l’on s’arrêtera pour elle, pour ne pas l’écraser ou la blesser. Elle rougira sans doute mais elle rira aussi. On lui criera après ou on fera de grands gestes en pestant à l’inconscience, elle rira de plus belle. On ne l’aura jamais tant flattée. Elle continuera tout un jour de courir dans les rues, de bousculer les gens, sans renverser les vieux, elle n’est pas une sagouine !, de déraper en tournant, de glisser dans les flaques, d’éclabousser, pas trop quand même, de courir jusqu’à avoir marqué la terre. Elle ne s’arrêtera qu’une fois la nuit tombée, genoux au sol, cherchant l’oxygène dont elle n’a jamais manqué. Mais pour la première fois, elle respirera vraiment car elle aura sa place.

Le deuxième jour, elle aura dormi peu mais bien, elle se promènera doucement dans les mêmes rues, contournera les flaques et sentira en souriant ses muscles endoloris. Elle aura fait le marathon la veille, on n’en sort pas indemne. Surtout du marathon de sa vie. Personne ne la reconnaîtra parce qu’elle allait trop vite hier et que chacun a seulement pris ses jambes à son cou pour éviter la furie dans la ville. Elle se promènera toute la sainte journée, à visiter tous les trottoirs et les coins. Elle se promettra de recommencer le coup d’hier et de foncer comme une dératée. Même juste pour le plaisir d’y penser.

Pour l’instant, elle dévale dévale dévale sa chère colline. Elle mange le gouffre qui la sépare du monde. Elle brise l’immobilisme. Elle brise le charme de la naissance, de la famille et de la peur. Elle dévale sa colline de rage. Enfin, la rage.

Le troisième jour, elle écrira son livre.

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