mardi 22 avril 2014

Caché trouvé

Pouvoir se cacher, échapper à toute forme de surveillance, se glisser dans les mailles de chaque filet qui pourrait se tendre.
Pouvoir être seul à se voir et à se regarder, à jauger de la situation et de ses conséquences ou de son inconséquence.
Pouvoir agir caché sans représailles.
Jouir de cette liberté, enfant adulte ou vieux.
Et ne rendre de compte à quiconque.
Devrait être accessible à tout un chacun cette joie d’être entier et une volonté un désir qui ont le droit.
Je ne parle pas d’actes délictueux, même si jouissifs pour certains et libérateurs. Je parle de minuscules décisions et mises en œuvre, pas nécessairement visibles mais déterminantes. Elles ne sont rien pour les autres, elles valent comme actes intimes, comme pierre à l’édifice engoncé dans le corps de mammifère vertébré qui nous définit.
En général, on ne les dit pas ces toutes petites choses. En général, on ne s’aperçoit pas qu’elles sont si importantes pour notre cohérence et notre sentiment de vivre. Elles font partie de tout ce sur quoi on ne prend pas le temps de s’arrêter, ce sur quoi on n’a pas concrètement le temps de s’arrêter le plus souvent, à moins de passer pour un illuminé ou de négliger ses responsabilités d’adulte. C’est tout un travail d’administrateur que d’être un adulte digne et respectable. Organisation, connaissance des institutions, prévoyance et budget. Même si on n’aime que l’art et les sciences. Il faut s’y coller et on est mal vu quand on recule. Ne peut-on pas être adulte autrement qu’en payant ses impôts en tant et en heure ?
Ces toutes petites décisions et œuvres infinitésimales ne se ressentent que lorsqu’un autre sentiment plus piquant s’y mêle. La honte, la colère, l’envie etc. La jouissance n’en est que plus grande et leur valeur d’actes libres et conscients aussi. Si tant est que nous puissions accomplir une seule fois dans notre vie un acte librement. Tout dépend de la définition que l’on donne à la liberté me direz-vous. Cela ne concerne que moi mais je suis d’avis qu’à peu près rien n’est choisi librement. Je dis à peu près mais je pense rien du tout. Je me laisse peut-être une petite marge d’optimisme et d’auto-détermination réconfortante. Alors choisi oui mais dans un couloir étroit de potentialités qui me sont propres, que je partage en partie avec mes pairs mais dont la combinaison n’appartient qu’à moi.
Revenons-en à ce qui nous intéresse : ces toutes petites décisions qui, l’espace d’un instant, entre deux portes vite refermées, élèvent et enracinent en même temps. Les mouvements se contredisent et somme toute sont assez banals. Mais j’insiste sur ces deux sensations. Je m’élève parce que d’un coup brutal, je me sens exister fermement, je suis légère mais beaucoup plus ancrée, plus intense et mieux cousue du haut jusqu’en bas. Comme quand les veines apparaissent sur la peau les jours de chaleur. On le sait que le sang circule sans cesse, sans notre intervention, pendant nos décennies de vie, sans discontinuer une seule seconde. Mais ces jours de chaleur où l’on s’aperçoit qu’il est là, qu’il est partout sous les airs de rien que se donne la peau, qu’il est battant et frémissant, on le voit sans s’y tromper, ces jours-là, j’éprouve toujours un sursaut de vie.
Comme si je m’apercevais du tourbillon qui s’anime nuit et jour en moi.
Comme si je tenais sous mes yeux, sur le dos de mes mains, les preuves d’un corps vivant, pourtant si régulier, presque dormant.
Comme si je détenais enfin la preuve que je cherche par tant d’actions et créations tout en volutes.
Et je me calme à observer frémir mes veines, frémir sans bouillir, sans angoisse, sans cataclysme.
Comme quand je prends de minuscules décisions, sans personne, seule au monde et que je me sens impérialement vivante, impérieusement, impérative. Je me sens exister moi et moi-même, moi en moi-même, les nœuds s’enroulent comme fait les uns pour les autres. Tout glisse pour s’emboîter.

            Et je pense à tous ceux emprisonnés dans leurs maladies qui jamais ne jouissent d’un simple moment sans regard et sans voix. Toujours un commentaire, une moquerie, un jugement, une sanction, un dieu ou un diable, pour livrer la sentence.
Leur tête a des griffes intérieures, des filets d’où on ne sort jamais, des labyrinthes construits pour y rester toujours.

            Je veux croire que je participe à cette immense tâche de libération des esprits. Pas de prosélytisme intolérant, ni de secte à payer ; chacun peut réclamer l’apaisement d’un instant, de temps en temps, le sentiment d’être quelqu’un. Tout le monde ne peut pas prétendre à cette chance. Ne l’oublions pas.

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