L’habitude et le désir d’être entourée. Dans la vie en général. Pas de solitude, sinon décidée et à heure déterminée. Pas la vraie solitude en somme. La solitude programmée, celle qui permet de reprendre sa respiration j’en parle aujourd’hui en ces termes, cette même solitude ou plutôt précisément pas la même non, qui asphyxiait il n y a pas si longtemps. Etonnant comme une même réalité objective, si cela existe, puisse revêtir un habit émotionnel aussi distinct du précédent. Par instinct, je recule devant le danger ancestral. Grégarité humaine qu’on sous-estime grandement à mon sens. On encense la liberté, l’épanouissement de l’individu, en omettant son ancrage animal dans le groupe auquel il appartient. Je suis la première à lutter et avoir lutté comme une acharnée pour ma liberté et ma valeur singulière et unique. J’en reviens aujourd’hui, la plupart du temps. La solitude d’aujourd’hui est fugace et parfois, je l’avoue trop rare. Je me perds dans mes propres élucubrations, à savoir si je l’aime ou non. Je n’y comprends plus grand-chose. Je cours à ses trousses pendant des jours. Et pour peu que je me retrouve pour plusieurs heures seule sans l’avoir demandé, je suis prise d’un vertige. Je ne sais plus quoi faire, dans quel ordre, et pourquoi surtout.
C’est là que je veux en venir. Sens et solitude. Je ne parlerai jamais du sens de la solitude, ce serait me jeter dans la gueule du loup. Je n’ai pas encore assez vécu pour trouver un sens à la solitude. Je suis aujourd’hui persuadée qu’elle n’en a pas, tout comme le temps qui passe et la mort. Même si chaque jour, je recommence de m’interroger sur le sujet, bien malgré moi. Mais, je sais qu’on est persuadé un temps et que l’idée retourne sa veste ni vue ni connue. Tout ça pour en arriver au sens du reste, des choses de la vie, qui s’épanouit, se transforme ou s’annule dans la solitude. Comme si elle avait le pouvoir d’éclairer les vrais sens, de départager le bon grain de l’ivraie. Tout le monde toute chose a cette capacité exaspérante à se cacher. C’est exaspérant, ça occupe bien aussi quand on n’a rien à faire de sa vie. C’est-à-dire, concrètement, qui a une mission réelle sur cette terre ? Personne, nous sommes d’accord. Donc l’ensemble des mortels passent le temps à défaire les masques et les reconstruire à leur manière pour que d’autres absents alors s’évertuent à dévoiler à leur tour l’affaire.
Dans un bureau au fond d’un couloir. Plusieurs collègues appréciés et dont la présence m’est chaleureuse. J’aime savoir qu’ils sont là juste à côté. Et je crois dur comme fer que c’est la seule issue à mon ennui, cette plaie que je me traîne depuis des lustres. Malheur à moi quand un jour de fatigue, ils sont absents. Je maudis leur changement d’horaires et de programme. C’est ma famille de la journée, celle qui m’accueille et que j’attends le matin et à qui je peux dire A demain presque tous les jours. Ils me suivent, m’écoutent, je les observe et les fait rire ou pleurer. C’est ma spécialité, formation professionnelle qui déborde ou personnalité qui a forgé la professionnelle. On se croise et recroise, on mange ensemble, on rit et on est en désaccord sans heurts. Je parle des professionnels voisins, ceux qui habitent la porte en face à un peu plus avant dans le couloir. Je ne m’avance pas au monde extérieur et autres bâtiments. Là, c’est les grandes variations. Vous me direz, ce n’est possible, ce n’est pas qu’une question de géographie. Bien sûr que cela ne suffit pas pour tisser des liens. Mais on a beau dire, on vit en partie ensemble. C’est idiot et peut-être un peu fruste d’évoquer cela mais tout de même, on partage les mêmes toilettes. Ce n’est pas toujours heureux mais ça implique une intimité avec laquelle composer. Quelque mauvaise volonté qu’on y mette.
Alors le jour où, et cela fait des semaines que ce n’est pas arrivé, l’on se retrouve seul dans le bâtiment. On se fait saluer par le dernier qui restait encore. On s’en est souvent plaint jusqu’à présent de ces départs à la chaîne et de ce couloir déserté. Mais aujourd’hui, le couloir et le bâtiment avec, le couloir est sa vraie colonne vertébrale, et nous aussi on se repère par rapport à lui. On est à sa droite ou à sa gauche et au début ou au fond. Encore cette géographie qui s’immisce. N’empêche que ça rythme nos déplacements et marque notre identité au sein de l’institution. Je suis donc bientôt seule dans mon couloir, bien tranquille au fond. J’entends la porte d’entrée claquer derrière l’ultime résident à quitter les lieux. Un poids dégage ma poitrine et tombe là où est sa place et où il sera digéré vers les tripes gourmandes. Je respire enfin. Je m’étale, je m’étends, je m’étire sur mon siège. Je ne sais pas ce qu’en perçoit le patient en face de moi. Mais d’un coup d’un seul mes oreilles s’ouvrent mieux et subtilisent toutes les nuances simultanées du discours qu’elle tient. C’est automatique, comme un bidon d’énergie ignoré dont je dispose subitement. Tout est plus simple et exige moins d’efforts. Je me dis que c’est une vue de l’esprit. Il me faut vérifier cette expérience au fil des minutes et des patients. La qualité de l’écoute est au rendez-vous, au lieu d’un effort coûteux pour rester dans le circuit de l’échange.
Je m’étonne d’emblée bien entendu. Et rapidement, en prenant un peu de recul, parallèlement à la conversation qui a lieu, je me rends compte que je ne crains plus le regard de mes collègues. Je suis non seulement plus disponible mais en outre, je m’exprime plus librement, je ne m’impose plus d’être parfaite, je ne crains plus le manque de malveillance ou la maltraitance dont je pourrais me rendre coupable. Je suis plus naturelle, je reviens à moi. Pas vraiment bas les masques puisque celui de la professionnelle est une nécessité, pour pouvoir rassurer, faire miroir et rentrer dans une case, même une grande case. Je me dois de porter le masque officiel. Il me contraint, il me protège. Il me définit malgré moi, il me donne une place. Il me coûte, il me paye. A ce moment de solitude révélée presque, sans en devenir mystique, le masque et la peau se mélangent. Et ce n’est pas une mésalliance, comme si l’une était plus pure que l’autre. Souvent par le passé, j’ai préféré absolument distinguer ce qui était moi et ce qui ne l’était pas. J’ai oublié les critères de l’époque, ce sera l’objet d’une autre réflexion, mais j’étais catégorique sur le sujet et toute approche de l’intrus était catapultée à grande distance. J’ai mis de l’eau dans mon vin et j’y ai goûté au signal de la porte claquée.
Enfermée bien au chaud, dans un bureau, j’imagine les autres et leurs jugements, leurs regards désapprobateurs et leurs accusations. Je sors et rapidement, ils sont les premiers à apprécier mes interventions et à en tenir compte. Je poursuis sur ma lancée tous les jours pourtant en me menottant moi-même, remuant sur mon siège pour ne pas dire l’impardonnable. C’est de mon propre sentiment de culpabilité que j’ai peur, c’est lui qui me domine et dicte mes attitudes et comportements. Je crains au-dessus de tout le retour de bâton. Une sphère où je me sens placide, autant que possible, et qui se révèle diabolique. Tous les amis sortent leurs crocs et rient de ma déconfiture. Ils rient de ma confiance. Les plus proches, la famille du couloir, je leur plaque ces démons sur la tête, dans les yeux surtout, dans les oreilles aussi, par tous les orifices.
Seule
Sans un regard
Immensité
Immersion
En équilibre.
Bien-être
Accroché
Au retour
des autres membres.
Entièreté retrouvée
A nu
Libre
Si échéance.
Le regard
Je m’en enserre
Victime
Mon bourreau.
Et aussi,
Il me tient
Il me nomme
Il m’évite
La descente infernale.
Le regard,
en faire
un compère
souriant
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