vendredi 25 avril 2014

Swanplandia, Karen Russel

C’est sans mièvreries, sans pleurnicheries que Karen Russel raconte les douleurs de son héroïne et de son frère. C’est avec beaucoup de tendresse et un point de vue qu’on entend peu qu’elle raconte l’entrée en folie de l’autre sœur. L’adolescent Kiwi se rend bien compte de ses difficultés et de celles de sa famille. La petite fille est beaucoup moins au clair avec sa propre souffrance et la combativité avec laquelle elle poursuit sa sœur et sa famille en décomposition m’interpelle. En effet, je trouve cela très fidèle à l’esprit de l’enfance qui se bat jusqu’au bout pour ne pas s’effondrer. Le regard de chaque enfant de cette tribu excentrique, chacun avec sa sensibilité, donne une impression d’achèvement. J’ai en tête l’image d’un triangle que Kiwi, Osceola et Ava forment, englobant la réalité de leurs expériences singulières. La raison, la folie, l’imaginaire. La fuite, l’amour, l’aventure. On pourrait les dénommer de mille façons différentes bien sûr. Et demeure le sentiment de complémentarité de ce triple point de vue.
La transition est toute faite vers le thème de la fraternité et de la sororité. Les relations que les deux sœurs entretiennent m’ont particulièrement touchées. Il émane de l’écriture de cette relation quelque chose d’une extrême tendresse, d’une affection indéfectible, sans que cela soit jamais dit en des termes explicites. Là encore, je trouve Karen Russel très juste. Cette pudeur entre frères et sœurs, celle de l’enfant en premier lieu, contrairement à ce qu’on croit souvent spontanément.
J’ai été très touchée, je reviens dessus, par la bienveillance avec laquelle est dressé le portrait de la sœur Osceola. Sans pitié pour autant. Ce monde que décrit L’auteur est un monde où l’on a le droit d’être incorrect et étonnant voire bizarre. Personne ne dit que c’est facile mais cela n’empêche pas de vivre et de grandir. De fait, dans cette idée de bizarrerie, certains personnages donnent véritablement le sentiment d’être tout droit sortis de contes de fées, contes cruels d’ailleurs. Des personnages haut en couleurs et contradictoires.

Les images de l’enfance, on en parle par nostalgie ou par habitude. On ne dit rien de soi, au creux d’une conversation bien impersonnelle ou superficielle mais on sursaute en évoquant ces mondes perdus. Cela ne veut souvent rien dire pour celui qui écoute. Et si l’on demandait d’expliquer plus avant, qui ne serait pas embarrassé pour partager ces flashs et impressions proustiennes ? Il y en a qui se lancent, le résultat est souvent assez malheureux. Des oreilles bienveillantes et curieuses se tendent mais qui entend vraiment quelque chose de cette puissance de l’émotion d’enfant ? de l’échelle de valeurs de cet enfant disparu ? des peurs et des joies du début de cette vie-là mise en mots ? Certains auteurs s’y sont plongés, sans aucun doute en connaissance de cause. Ceux qui ont opté pour un point de vue purement imaginaire s’en sont souvent bien sorti. Les littérateurs sérieux ont accouché d’œuvres plus laborieuses me semble-t-il. Non pas qu’il n’existe pas d’œuvres sur l’enfance réussie, là n’est pas mon propos. Mais cela me semble un exercice difficile auquel peu se sont distingués.
            Je suis toujours curieuse de voir comment un auteur va s’attaquer à cette tâche ardue de raconter l’enfance et son imaginaire. Je n’ai pas été déçue avec Swamplandia. J’ai été conquise par ce subtil équilibre entre la peinture d’un monde d’enfant dans sa subjectivité et l’écriture adulte assumée de cette immaturité. C’est ce paradoxe et sa tenue le long de quatre cents pages que j’ai appréciés tout particulièrement. Je me suis de fait, autorisée à m’immerger dans ce monde marécageux et trouble où les limites ne sont nettes en aucun domaine. Ce paradoxe, c’est celui d’une écriture travaillée, riche en sensations, dont les mots ouvrent l’esprit de l’adulte lecteur, écriture si juste du monde enfant.

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