L’enfant inconnue, elle se meut dans un monde flottant où, sans doute, on parle une autre langue. Elle parle déjà la langue des autres, la langue de ceux qui n’entendent pas, la langue étrange, la langue-danse.
L’enfant inconnue méconnue méconnaissable.
L’enfant incomprise.
Ni en haut ni au bas, à côté du reste de ses congénères.
D’un pas décalée, sans faire exprès, d’elle-même, déjà sur le bord.
L’enfant invisible, qu’on entend et qu’on sent, qu’on ne voit que du coin de l’œil. Parce qu’on doit continuer d’avancer au milieu du troupeau, qu’on est bien obligé, et qu’elle ne peut absolument pas se rapprocher.
Elle ne peut pas parce qu’elle n’en a pas même l’idée. Elle ne fuit pas. Elle ne s’échappe de rien. Tout comme certains sont aimantés et d’autres repoussés d’office par le contact avec leurs pairs.
Elle se tient à sa place, son emplacement de toujours. Tout le monde doit fournir un effort pour s’approcher de cette place-là, pour personne elle n’est évidente. Pour elle, et elle seule, oui elle l’est. Elle ne partage pas ni sa place ni son angle. Personne ne le lui dispute, quoi qu’il en soit. Tout comme elle n’imagine pas une autre place, on ne lui envie rien, on ne comprend même pas où elle se pose, on n’imagine pas.
On essaye de devenir l’enfant inconnue
…
Un grand blanc se forme. Un monde terriblement vide, qui donne juste envie de courir le plus loin vite possible. Un univers sans feu sans flammes, sans épaisseur. Un simple trait. A la mine des plus fines. A la pointe du crayon taillé. Tracé sans écritures par on ne sait qui on ne sait pas même où et pourquoi. Pourquoi, on ne le sait jamais. Personne n’a davantage ou moins de sens que cette enfant. Mais elle brandit dans son être, sa présence le pourquoi. Il resurgit alors qu’on l’oublie tendrement face à d’autres plus facilement épais.
Elle est fine comme la mort.
Elle est fine comme l’extrême limite entre réel et irréel.
Elle est inaccessible comme l’instant où tout bascule, d’un côté comme de l’autre.
Elle glisse comme une anguille.
Les aiguilles fixes et fixantes de l’horloge de chacun tremblotent dans tous les sens avec et pour elle.
Les aiguilles s’affolent.
Le moindre repère s’enfuit à son contact.
La boussole éclate en mille morceaux.
Et tous les cadres se soulagent à ne plus tenir.
L’enfant sauvage au sourire de princesse.
L’enfant sombre cynique aux câlins de bébé.
L’enfant petite et tendre aux yeux de diable en herbe.
L’enfant en nourrisson aux manières d’aguicheuse.
L’enfant que personne ne comprend.
L’enfant de tout et son contraire.
Et puis, une fois cela écrit, voilà qu’elle plonge comme jamais dans l’épaisseur.
La fille du bord et de l’extrême.
Elle devient d’un coup en un éclair une fille du commun des mortels.
Elle y est entrée pour toujours ?
Ou elle n’y fait qu’un saut ?
Elle et moi sommes des pairs pour un moment presque magique.
Du moins, inespéré.
Une enfant déjà endeuillée par mon esprit pessimiste.
Une enfant à qui j’avais presque envie de ne plus donner sa chance d’être normale, pour me protéger.
Une enfant qui avait épuisé mes ressources de bienveillance.
Qui se met brusquement à communiquer sur la même corde.
Irruption dans mon univers, elle qui n’était pas des miens.
Comme tout autre, j’ai voulu la rejoindre, la toucher en un seul minuscule point pour faire contact.
Réussi objectivement sans jamais ressentir le moindre précurseur de relation.
Cette sensation insensée de n’être pas avec quelqu’un comme moi, comme même une toute petite partie de moi.
Une immense impossibilité à trouver le point d’attache.
Et comme si elle ouvrait sans un bruit l’armure inamovible, elle donne à voir toutes les serrures qui me sont familières.
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