Mais le tambour n’est pas le seul coloré, il y a le magasin du père, plein de produits exotiques. Et qui lui fait rêver. Du rêve brut sans ironie, du rêve de voyage, de l’invitation au voyage. Dans ce monde étriqué en apparence, Oscar évolue dans un tas de promesses. Il est aussi exotique lui-même aux autres et sans doute à sa propre conscience que les produits vendus dans le magasin familial.
Reste le plus colorant de tous les éléments du Tambour : le cirque. Ces personnages et cet univers qu’on ne peut invoquer à son esprit, tous autant que nous sommes, sans voir surgir les couleurs les plus farfelues et moins assorties, d’ailleurs. C’est un monde qui parait, qui brille, qui choque, de mauvais goût, hors normes, mais intrinsèquement vivant, bien davantage que tous les autres. Seul peut-être celui des morts pourrait le concurrencer, le monde vivant des morts, bien plus poétiques que les vrais, bien plus sains aussi. Le cirque dont on reste à distance, de peur d’être contaminé par l’anormalité, le nanisme ou le gigantisme, l’ensorcellement trop incompréhensible et irrationnel. Le cirque est le monde qui sauve, celui qui donne corps à l’âme d’Oscar, qui lui permet de trouver ses semblables qui lui ont tant manqués. Peut-être ne s’est-il pas rendu compte de son manque, de sa solitude. Peut-être que le tambour a parfaitement joué son rôle et a palliée les terribles incompréhensions, malentendus, presque insoutenables d’Oscar avec son entourage. Terribles pour nous lecteurs, peut-être devenus la communication basique d’Oscar qui ne sait pas se plaindre. Qui, une fois le monde du cirque et son idole et son grand amour découverts, peut enfin déprécier ceux qui n’ont vu en lui qu’un débile handicapé et fou. Sans animosité franche d’ailleurs de leur part. La distance est bien plus efficace.
Toutes ces couleurs et cette vitalité viennent des univers anormaux. Anormaux ? Au sens propre. Hors normes, voire extraordinaires. L’ordinaire est plus mortifère et morbide que le monde des morts, des fous, des circaciens marginaux. Au contraire, ce sont eux qui nous donnent une bouffée d’air frais, qui nous rendent plus vivant ces lignes, ces pages. Sans doute que j’ai eu, moi lectrice qui se croit tolérante jusqu’à l’impossible, on se croit toujours plus tolérant qu’on n’est, n’est-ce-pas ?, un mouvement de recul devant le surgissement du cirque et de ses personnages alambiqués, sans doute un peu exaspérée de ne voir nulle part un peu de normalité à ma sauce, un personnage auquel m’identifier facilement. Facilement ? Ne pas essayer de trouver quoi que ce fût de facile dans cette oeuvre. Une envie de fatiguée, d’humaine en mal d’ami. Vous n’avez pas d’ami dans ce livre. Pas d’ami ! Vous êtes seul et vous devez lutter sans vous reconnaître en personne. Vous reconnaissez oui certains de vos pairs, en partie et vous riez mais vous ne pouvez pas décemment vous y reconnaître vous-même ou alors catastrophe ! J’ai fini par prendre un peu de chacun et m’y retrouver en patchwork. J’ai été ma seule amie. Personne pour me réceptionner. Tu sautes, tu percutes le bitume en plein vol et tu te relèves et reprends la course. Et voila. A l’image de la vie. Vous n’avez pas d’ami, vous n’avez pas de cadeau. Vous êtes un misérable, vous êtes un paria, un Oscar face à Oscar. Mais, mieux vaut attendre la 700ème page pour l’admettre sinon vous pourriez vous sentir maltraiter. Ce sont donc bien les mondes à l’envers, les mondes anormaux qui finissent les moins fous et les plus cohérents. Ce sont au fond les repères qui demeurent les plus fiables et les plus courageux. Ce sont eux qui font découvrir le monde et l’amour vrai, l’amour qui enrichit, l’admiration qui rend humain. Oscar devient de plus en plus humain, vivant devrait-on dire, car humain est-il un compliment dans l’idée de l’auteur, j’en doute, de plus en plus authentique et attachant, ému, habité.le monde normal est fou, bien plus fou que le monde des soi-disants pas nets, à l’apparence qui fait rire ou laisse indifférent, dans le meilleur des cas.
Je ne peux évidemment pas laisser de côté, la fresque historique en toile de fond, derrière le récit initiatique d’Oscar et de l’humanité qu’il représente et découvre à la fois, en en faisant partie et pas. Cette fin du monde en Allemagne, en Europe qu’est la deuxième guerre mondiale. Je ne dis pas que cette époque continue de me passionner comme lorsque j’étais enfant et que je retrouvais dans mon for intérieur le sentiment de ces atrocités, une familiarité indéniable avec ces événements immondes. J’ai fini de comprendre ce que j’y trouvais et ce que j’y ai gagné. Je continue de me révolter, très correcte et sincère en même temps, contre ce que j’aurais pu moi-même être et faire, je ne l’oublie jamais. Nul n’est à l’abri de devenir bourreau et de ne pas y croire même au jour du jugement. Mais je me lasse des commémorations démultipliées et incessantes, j’ose le dire, sur ce moment de l’Histoire. Il n’est pas le seul à devoir nous révolter et nous émouvoir, nous répugner. Les difficultés sociales d’aujourd’hui nous appelle à nous préoccuper d’autres atrocités, génocides, tortures, ayant doit à une bien moindre publicité, malheureusement. Y réfléchir aussi nous aiderait sans doute à faire évoluer notre société où la violence quotidienne est une honte. Bref. Le Tambour rejoue lui aussi notre 39-45. Mais ma méfiance vis-à-vis d’une nouvelle référence à cette période noire a été d’emblée mise à terre. C’est sans doute la pudeur avec laquelle Grass écrit cette Histoire qui la rend si juste. La réalité dans ses formes les plus brutes, sans artifices comme toujours, mais de loin, Parce qu’Oscar n’est jamais là de près. Oscar vit les choses dedans et dehors à la fois et son regard ne peut être que pudique et moins fou que bien d’autres. Oscar l’ingénu, stupide, d’un autre monde, entend la guerre, la traverse, avec son père, le vrai père, sa grand-mère, et les violences de tous les jours. Pas la grande guerre des livres officiels. La guerre de l’Ecole des Annales, la guerre d’un gosse et de ses proches. La guerre là, tout au long de la naissance d’un homme. Oscar qui grandit dans la guerre, autour de lui, partout et en lui. La guerre que Je et Il n’ont de cesse de se livrer du début à la fin.
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