Avant la poussière, le géant
est apparu des dizaines de fois, encore et encore. Carotte qui le
réveillait mais aussi parfois tout seul, de plus en plus avec l'âge.
Patate se sentait muter d'un coup seulement déclenchée par son
tourbillon de peurs. Le géant a fini par faire partie de son
quotidien. Elle ne le contrôlait pas, pas du tout, c'était bien
cela la plaie. Un monstre surgissant à l'improviste et dévastant
toute fierté su son passage, bulldozer impitoyable. Elle n'était,
de lui aussi, que la poupée. Elle le haïssait. C'est au moment des
aventures nocturnes, de Patate-garçon, du premier éclat qu'elle
trouva la poussière, qu'elle cessa de lutter contre le géant mais
avec lui pour agir la métamorphose. Parce sans géant, pas de
poussière, pas d'envol, pas d'ivresse de la victoire légère, sans
ombre, scintillante. La poussière est géante poussière, poussière
géante intouchable, inaccessible, inviolable.
C'était pour Patate, pour
laquelle d'autre nom n'a toujours pas été trouvé, mais cela
adviendra en un éclair comme une évidence, la magie des noms,
c'était pour Patate le début d'une grand pan de vie. Le début de
cette vie d'escalades. Patate dès lors qu'elle s'aperçut qu'elle
était capable de métamorphoses délivreuses ouvrit la porte de la
salle de jeu. La salle de jeu qu'elle se croyait interdite tout
jamais, en bonne impuissante convaincue sûr et certaine. La salle de
jeu qui n'a que les dimensions qu'on lui donne, qui rapetisse et
grandit jusqu'à l'immensité, jusqu'à la mort. La salle de jeu où
Patate allait commencer avec émerveillement d'abord à repousser les
parois de son univers. Repousser les parois vitrées, salopes
universelles qui laissent voir dans une transparence divine toutes
les choses qu'on ne touche pas, qu'on n'atteint pas, et qui hurlent
en choeur notre atrophie humaine. La cage devient salle de jeu et
certains gardent leur calme en se tournant vers ce qui s'y trouve, en
s'en contentant avec sagesse. Patate n'était évidemment pas de
ceux-là. Elle se prit tout de suite au jeu potentiellement fatal :
tordre les parois vitrées, aux apparences d'incassables mais tout à
fit souples et malléables quand on trouvait la force d'y croire et
de se sacrifier pour les attaquer dans cesse, oubliant sans doute ce
qui existe déjà dans la salle de verre, les jeux faciles, les
jeux-là. Toujours dans l'au-delà, toujours plus, repousser les
putains de parois de verre, quel que soit le moyen, la fin justifie
ces moyens, quitte à se trahir oui, pousser, toujours plus loin,
conquérir, se sentir plus fort, plus grand, plus digne, parce que
sans ça, on redevient le géant honteux débile sur ses trop grandes
jambes dans sa cage de monstre de foire. Parce qu'on ne veut plus
jamais et que rien n'est jamais fini d'obtenir, rien n'est jamais
assez. Parce que l'appétit devient ogresque.
Patate devint insatiable. Seule.
Sans l'aide de personne. Surtout sans l'aide de personne. Elle était
enfin parvenue. Presque imbue de sa réussite et se jurant sur tous
les cieux qu'elle ne cesserait jamais sa traque.
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