jeudi 1 mars 2018

Les enquêtes du département V, Jussi ADLER-OLSEN, Ed. Albin Michel. Noblesse de la littérature policière


           En amoureux des livres, on peut encore, malgré toutes nos luttes contre l'élitisme littéraire qui peut se montrer aussi puissant que la paresse intellectuelle, choisir un livre en le considérant comme une simple distraction. Un plaisir à côté de la « vraie » littérature. Bien sûr que ce n 'est pas ce qu'on a envie de penser puisqu'on a envie d'être ouvert d'esprit, sans a priori. Mais les vieux principes reviennent à l'attaque, comme le naturel au galop. Donc, cette simple distraction nous prend dans ses filets. Et pourquoi pas dans ses volutes ? Sa danse, sans arabesques exquises, mais pleine de caractère tout de même. Le Surmoi littéraire impitoyable dit : « la facilité plaît toujours ». Le Surmoi affirme avec arrogance une ineptie insupportable mais qui survit à toutes les guerres, très répandue dans les milieux intellectuels de ce pays.
Mais quand vient le moment de finir ce roman policier qui attache, qui emmène, qui adoucit les jours, que l'on sait qu'il en existe plusieurs autres et que l'on n'hésite qu'une toute petite seconde pour se procurer une autre Enquête du département V, on se dit qu'il est peut-être temps de mépriser avec le cœur cette histoire de littérature moins vraie, moins digne qu'une autre.
Le genre policier, même si la situation s'améliore pour lui, reste victime d'un préjugé défavorable auprès des instances académiques. Il a toujours été ce sous-genre qui amuse, populaire mais pas réellement littéraire.
Plusieurs questions se posent alors : toute littérature se doit-elle d'être littéraire, poétique, esthétique, avant-gardiste, révélante ? La littérature doit-elle être une œuvre d'intellectuelle destinée aux intellectuels ? Bien sûr que non, la réponse est facile et tout le monde peut y répondre même les plus élitistes du monde qui vous diront que Jules Verne est un génie, Alexandre Dumas une immense figure de la littérature française. Mais il sont morts ! Et sans aucun doute, ce statut posthume les aident à devenir extraordinaires. Les morts jouissant d'une aura qui abat les vivants, dans cette société de l'immédiateté. Paradoxe incompréhensible. Incohérence absolue de la ligne du temps. Un livre est toujours un acte intellectuel, pas toujours une œuvre selon certains, pas toujours une création. Cela se discute et cela ne devrait surtout pas être institutionnalisé. Cette subjectivité est ininstitutionnalisable. Chacun voit des œuvres où les résonances se mettent en branle en lui, certains livres provoquent une plus grande adhésion que d'autres, jamais une unanimité, soyons honnêtes. Nous parlons bien ici d'un sentiment interne que les belles phrases, surtout les phrases publiques ne traduisent pas. Le secret de chacun. Et qui n'aime pas Balzac, qui hait Beckett, qui exècre Baudelaire, qui abomine de Beauvoir, ne le crie sur aucun toit. Pourtant, rien de répréhensible. Beaucoup plus facile d'affirmer que l'on déteste les romans de gare, comme il est si péjorativement dit, ou les policiers, sans âme, qui n'enrichissent pas l'être qu'on construit avec nos livres.
Jussi Adler-Olsen offre à ses lecteurs un univers, des personnages que l'on finit par connaître dans leurs moindres recoins, qui interrogent, qui nous suivent dans la journée, au travail, aux toilettes ! Encore une fois, ne nous voilons pas la face. Dans les moments les plus intimes. Parce qu'ils sont dans la tête, inscrits, empreints, encrés, dans le disque dur. Pas seulement dans l'USB amovible. Aussi dans le dur du crâne. Karl, Assad et Rose deviennent une équipe de policiers un peu farfelus à laquelle l'on tient finalement, qu'on attend quand la rêverie s'installe et qu'on peut se réjouir de retrouver même alors qu'on ne s'y attendait pas. Leurs enquêtes, leurs aventures, leur folie qui nous font sourire et doucement, derrière une narration et des dialogues rebondissants, parlent à nos anges et démons, êtres passés, rêvés, à venir. Alors finalement, n'est-ce pas là le principal ? N'est pas cette cloche qui vibre et fait sentir vivant, qui offre du plaisir et redisons-le, adoucit les jours ardus ?
Les beaux mots, les pages d'esthète, les poèmes jamais vus, les romans imprévus, virevoltants, les récits dont on ressort cérébralement grandi, même si l'émotion esthétique est là, elle n'est pas celle du corps et de l'aventure qui nous anime charnellement, me semble-t-il. C'en est une autre, tout aussi noble. Ou alors le clivage n'est qu'une vue de mon esprit.
Et pourquoi pas, dans cette optique, diffuser parallèlement le policier poétique, qui donnera à voir toute la potentialité de ce genre qui se bat comme un lion pour acquérir ses lettres de noblesse avec un courage indéniable ? Aller plus loin ! Ne pas rester dans les rails. Brandir haut et fort comme un genre vendeur oui mais pour de belles raisons, pas seulement commerciales et d'ignorance littéraire. Un genre qui exige un vrai talent et pose une brique à l'édifice du lecteur qui continue de se façonner, livre après livre.



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