En
amoureux des livres, on peut encore, malgré toutes nos luttes contre
l'élitisme littéraire qui peut se montrer aussi puissant que la
paresse intellectuelle, choisir un livre en le considérant comme une
simple distraction. Un plaisir à côté de la « vraie »
littérature. Bien sûr que ce n 'est pas ce qu'on a envie de penser
puisqu'on a envie d'être ouvert d'esprit, sans a priori. Mais les
vieux principes reviennent à l'attaque, comme le naturel au galop.
Donc, cette simple distraction nous prend dans ses filets. Et
pourquoi pas dans ses volutes ? Sa danse, sans arabesques
exquises, mais pleine de caractère tout de même. Le Surmoi
littéraire impitoyable dit : « la facilité plaît
toujours ». Le Surmoi affirme avec arrogance une ineptie
insupportable mais qui survit à toutes les guerres, très répandue
dans les milieux intellectuels de ce pays.
Mais
quand vient le moment de finir ce roman policier qui attache, qui
emmène, qui adoucit les jours, que l'on sait qu'il en existe
plusieurs autres et que l'on n'hésite qu'une toute petite seconde
pour se procurer une autre Enquête du département V, on
se dit qu'il est peut-être temps de mépriser avec le cœur cette
histoire de littérature moins vraie, moins digne qu'une autre.
Le
genre policier, même si la situation s'améliore pour lui, reste
victime d'un préjugé défavorable auprès des instances
académiques. Il a toujours été ce sous-genre qui amuse, populaire
mais pas réellement littéraire.
Plusieurs
questions se posent alors : toute littérature se doit-elle
d'être littéraire, poétique, esthétique, avant-gardiste,
révélante ? La littérature doit-elle être une œuvre
d'intellectuelle destinée aux intellectuels ? Bien sûr que
non, la réponse est facile et tout le monde peut y répondre même
les plus élitistes du monde qui vous diront que Jules Verne est un
génie, Alexandre Dumas une immense figure de la littérature
française. Mais il sont morts ! Et sans aucun doute, ce statut
posthume les aident à devenir extraordinaires. Les morts jouissant
d'une aura qui abat les vivants, dans cette société de
l'immédiateté. Paradoxe incompréhensible. Incohérence absolue de
la ligne du temps. Un livre est toujours un acte intellectuel, pas
toujours une œuvre selon certains, pas toujours une création. Cela
se discute et cela ne devrait surtout pas être institutionnalisé.
Cette subjectivité est ininstitutionnalisable. Chacun voit des
œuvres où les résonances se mettent en branle en lui, certains
livres provoquent une plus grande adhésion que d'autres, jamais une
unanimité, soyons honnêtes. Nous parlons bien ici d'un sentiment
interne que les belles phrases, surtout les phrases publiques ne
traduisent pas. Le secret de chacun. Et qui n'aime pas Balzac, qui
hait Beckett, qui exècre Baudelaire, qui abomine de Beauvoir, ne le
crie sur aucun toit. Pourtant, rien de répréhensible. Beaucoup plus
facile d'affirmer que l'on déteste les romans de gare, comme il est
si péjorativement dit, ou les policiers, sans âme, qui
n'enrichissent pas l'être qu'on construit avec nos livres.
Jussi
Adler-Olsen offre à ses lecteurs un univers, des personnages que
l'on finit par connaître dans leurs moindres recoins, qui
interrogent, qui nous suivent dans la journée, au travail, aux
toilettes ! Encore une fois, ne nous voilons pas la face. Dans
les moments les plus intimes. Parce qu'ils sont dans la tête,
inscrits, empreints, encrés, dans le disque dur. Pas seulement dans
l'USB amovible. Aussi dans le dur du crâne. Karl, Assad et Rose
deviennent une équipe de policiers un peu farfelus à laquelle l'on
tient finalement, qu'on attend quand la rêverie s'installe et qu'on
peut se réjouir de retrouver même alors qu'on ne s'y attendait pas.
Leurs enquêtes, leurs aventures, leur folie qui nous font sourire et
doucement, derrière une narration et des dialogues rebondissants,
parlent à nos anges et démons, êtres passés, rêvés, à venir.
Alors finalement, n'est-ce pas là le principal ? N'est pas
cette cloche qui vibre et fait sentir vivant, qui offre du plaisir et
redisons-le, adoucit les jours ardus ?
Les
beaux mots, les pages d'esthète, les poèmes jamais vus, les romans
imprévus, virevoltants, les récits dont on ressort cérébralement
grandi, même si l'émotion esthétique est là, elle n'est pas celle
du corps et de l'aventure qui nous anime charnellement, me
semble-t-il. C'en est une autre, tout aussi noble. Ou alors le
clivage n'est qu'une vue de mon esprit.
Et
pourquoi pas, dans cette optique, diffuser parallèlement le policier
poétique, qui donnera à voir toute la potentialité de ce genre qui
se bat comme un lion pour acquérir ses lettres de noblesse avec un
courage indéniable ? Aller plus loin ! Ne pas rester dans
les rails. Brandir haut et fort comme un genre vendeur oui mais pour
de belles raisons, pas seulement commerciales et d'ignorance
littéraire. Un genre qui exige un vrai talent et pose une brique à
l'édifice du lecteur qui continue de se façonner, livre après
livre.
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