mercredi 28 février 2018

cachée à tout prix

    C'est un peu délicat. Comment expliquer ça correctement... A l'époque, la haine que je nourrissais en moi, fruit d'années de honte et de peur, prenait toute la place à laquelle les émotions ont droit. Elle ne laissait aucune autre exister. Et j'en étais tout à fait contente, comme d'un nouveau joujou dont on ne se lasse pas. Je la trouvais très confortable, aussi étrange que cela puisse paraître. J'étais au moins en partie en paix. L'autre moitié restait nouée à quadruple tour et indémêlable mais au moins une partie de moi vivait enfin. C'est en tout cas, le sentiment que j'eus alors. La haine c'était d'abord la haine de moi. Je ne profère qu'une banalité en disant cela. La haine de tout ce que j'étais. 

La vraie haine.
Celle qui brille dans les yeux.
Celle qui fait pointer les crocs.
Celle qui fait couler la bave.
Celle qui fait pleurer jours et nuits puis,
plus rien.
Pus rien,
Tout est tari et pourtant il faut marcher
en bon petit soldat,
qui voudrait bien
mourir sans plus de combat crever bordel mais
que tout s'arrête.
La haine qui
fait vendre son âme, qui
autorise toutes les vengeances,
tous les massacres.
La haine qui te mène n'importe où, aux recoins les plus infâmes du monde, à ceux les plus splendides aussi.
La haine qui te fait tout oser.
La haine de toi,
de chaque centimètre,
millimètre,
nanomètre de toi,
des autres,
de tes plus proches,
surtout,
de ce que tu as touché,
approché,
de ta vie entière,
de la vie,
de la conscience,
le désir irrépressible de devenir un légume,
un ver de terre,
de ne plus jamais crier des profondeurs
comme un pauvre dégénéré flamboyant
méphistophélique de haine et de rancoeur,
à la voix de gosse coi,
con comme un coin.
Je me rêvais le revers de ma médaille, le verso, enfin. Que le recto tombe à jamais dans l'oubli, que j'aie droit à cette deuxième naissance, moi fille de Janus, choisir mon camp. Tout me révulsait. J'étais en perpétuelle convulsion contre moi-même, les yeux et la langue retournées de détestation. Je voulais en finir avec cet être-là. Je voulais être l'autre putain côté de la pièce. Plus jamais ne me retourner ou alors mourir. Plutôt mourir que de poursuivre avec cette face-là. Pile, verso, simple envers même. Tout mais plus ça.
Et la haine a permis cela, de tuer à petits feux les profondeurs, toutes les plus petites parcelles de l'être que l'on voudrait voir ne plus jamais resurgir quand on rouvre les yeux, au réveil et de remplacer tout cela par un être qui me plaisait. Je n'adorais pas ce nouvel être mais au moins, il était différent et je l'avais construit moi-même. Je n'étais plus une poupée cassée, une gamine en retard, une handicapée qu'on pousse et tire comme un boulet dont on n'arrive pas à se défaire. De culpabilité surtout. Tu n'imagines pas Flo combien immense peut être la haine de soi. Je ne sais pas, peut-être que je me trompe et que je ne te connais pas assez, qu'en fait tu connais ça, mais je ne crois pas. Nous appartenons à une engeance qui se reconnaît à l'instinct et de très loin. Je n'ai jamais senti ça chez toi.

Il fait non de la tête.

Je me doutais. Alors je dois t'expliquer ce à quoi mène tout cela. On ne vit pas de drame. Tout se passe calmement et personne ne s'effraie. On y tient d'ailleurs pour pouvoir se métamorphoser en toute tranquillité. On bosse dur et puis, on finit par croire son travail achevé. On est bien devenu quelqu'un d'autre. Sauf que les maux de tête récurrents depuis l'enfance et qui s'accentuent, les manies qui font toujours autant sourire les autres, les tout petits gestes absolument uniques, les infimes attitudes qui font dire à la mère ou au frère « elle a toujours fait ça », la mémoire que l'on retrouve toujours, les rêves et leur crudité qui ne rusent qu'apparemment mais heurtent en pleine artère et font gicler tout ce qu'ils peuvent. Il hurlent un démenti, tous. On le voit, on est obligé de le voir, une seconde. Parfois le rêve poursuit toute la journée. Il jaillit brutalement au bout milieu d'une phrase. Il ne laisse pas en paix. Il rappelle à l'ordre, bien au contraire. Il entend se faire écouter. Et l'humeur est sombre parce qu'on croit que les vieux démons refont surface.
Il ne s'agit en réalité absolument pas de vieux démons ou autres fantômes sans queue ni tête. Il s'agit de l'Authentique qui toque à la porte, de temps en temps, parce que le recto ne s'efface pas. On a beau jouer Janus en tout sens., le recto demeure et le verso recouvre ou au mieux s'accouple et se mélange. Mais combien d'années plus tard ! Le verso est un masque salvateur. Il est tout ce qu'on veut et il n'est pas faux alors, que dans ce mensonge, l'on puisse tout ce que l'on veuille. Mais la haine est là qui donne toutes les forces et tous les pouvoirs les plus incroyables. Le masque berce, on ne dort pas paisiblement mais on dort. On se sent moins détestable qu'avant. Et ce n'est pas gagné mais c'est toujours mieux. Et finalement, on perfectionne le verso, on se prend au jeu et on réussit. Une vraie et propre réussite. Enfin propre. Alors non, je ne suis pas triste ou déçue ou frustrée qu'on me prenne pour une autre. J'ai acquis grâce à tout ça à apaiser un peu la haine. Mais je ne crois pas encore et je doute que le jour arrivera où je serais fière du recto et capable de l'assumer. Je vais être vraiment honnête avec toi : je ne peux pas être recto parce que personne n'aime ce recto. Je sais que je ne suis pas tout le monde et que je ne peux pas savoir, que chaque regard est différent, blablabla. Je ne conçois pas qu'on aime cet être-là. Alors je le grime encore. Mais maintenant j'aime au moins le masque. Flo, qui aime cette personne-là derrière ? Qui ? Je te le jure, personne ne peut l'aimer. Tu ne l'aimerais pas. Ma mère elle-même ne l'aimerait pas. Mes amis ne l'aimeraient pas. Parce que je sors un peu moins couverte avec ceux qui me sont proches. Mais je ne suis jamais ce vrai recto. Jamais. Et n'y compte pas. Je te jure que vous vous enfuiriez tous. On ne peut pas aimer ça.

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