mardi 27 août 2013

Accidents (2) ; trapézistes


Se déroule sur la face interne de mon crâne le bandage infini, couche après couche.
Les images se succèdent. On s’écrabouille toutes les secondes dans mes lobes.

Un père et son enfant déboulent comme des trombes sur la route, sur la voie, sur les voies, sur le bitume chauffé, bouillant, qui se déroule de ville en ville, de monde en monde jusqu’à l’Afrique tropicale de nos mirages.
Toujours est-il que ce mioche et son paternel font la course avec les voitures lancées à disons cent et quelques kilomètres heure. Enfin, font la course, façon de parler. Ils ont aperçu leur épouse et mère de l’autre côté des huit couloirs automobiles.  Leur sang n’a fait qu’un tour, ils n’ont même rien dit, ils se sont à peine regardés. On s’est garé sur la bande d’arrêt d’urgence, une urgence ça oui ! la revenante est là ! Elle fait coucou sur l’autre bande d’arrêt d’urgence. On l’a retrouvée, elle est là. Ils n’attendent pas plus longtemps, le cauchemar est terminé. Ils se réveillent enfin. Ces six mois d’horreur à essayer de vivre sans elle, à reconstruire sa vie, à passer à autre chose en ne pensant qu’à elle. Ils claquent les portières joyeusement. Ils regardent à gauche, pas la peine à droite pour le moment, il y en a déjà quatre qui arrivent en même temps. Hop hop, on va y arriver mon petit gars, on va rejoindre Maman tu vas voir. Ben pourquoi tu pleures ? Ne t’inquiète pas, le malheur est terminé mon tout beau. Tendre caresse dans les cheveux encore clairs. Allez ! viens dans mes bras, je sais que tu es impatient mais arrête de gigoter comme ça, je ne peux pas me concentrer sur la traversée. Mais ! je sais qu’il y a des voitures enfin ! c’est bien normal, nous sommes sur l’autoroute. Mais si on s’y prend prudemment, tout se passera bien, tu vas voir. Il essaye en vain de coincer l’enfant sur son épaule. Mais il est déjà trop grand. Il ne perd pas patience, il sait bien ce qu’il ressent son fiston. Cette immense joie qui l’emplit.
C’est quoi ce dingue ma parole, c’est quoi ce fou furieux ! Putain il marche sur la chaussée, je peux pas ralentir, non mais tu fous quoi, tu fous quoi ! Putain il sourit,  il est avec son…

Les deux silhouettes avancent sûrement et calmement il fait bien attention le père, c’est son rôle. La voiture ne l’évitera pas, elle avance, elle vrille, elle devient hystérique, elle crisse, crache, caracole et se met à giguer. Elle voudrait tellement l'éviter, ne pas leur faire de mal mais elle est trop rapide, trop puissante. Tout à coup, elle sent qu'elle n'est plus toute seule, qu'elle a touché quelque chose de plutôt mou, qu'elle les a débobinés de pièce en pièce. 
Ils voltigent, ils tournoient docilement dans l'atmosphère. Il a enfin retrouvé son amour, son bel amour. C'est ça qu'il ressent là, il jouit, l'orgasme approche rien qu'a l'idée de cet être adoré. Il a conscience de toutes les particules de l'air qui l'enveloppent, de tous les mm2 de son corps. Mais pourquoi hurle-t-il le petiot ? Il est pas bien quand même, c'est enfin la fin et il s'égosille comme un âne. Comprendrai jamais rien aux enfants moi ! Et l'orgasme ! Ma tête explose littéralement ! C'est sublime, c'est quoi... Le palpitant claque d'un coup, il laisse tomber, il a tout essayé, trop tard pour lui, depuis longtemps.
Le minuscule triple la hauteur du paternel. Trapéziste en devenir. Attention ! Quand on dépasse son papounet aussi tôt, ça fait des dégâts. Impressionnant le poupon ! Figures et compagnie hein ! Et puis rebondit élégamment. Hurle Papaaaaaa ! qui n'entend rien. 
Et la voiture coupable se ratatine de honte dans un coin de tôle froissée.

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