dimanche 11 août 2013

Deux bouts de vieux


On s'est dit qu'ils ne pouvaient pas s'aimer.
On s'est même demandé s'ils étaient liés par quelque chose.
On a ri de ce couple burlesque et si assorti.
On s'est moqué de ces deux êtres improbables dans leur épaisseur charnelle.
On s'est défendu de leurs tics tocs tic-tac oppressant au-dessus de nos têtes.
On a rogné le lien nous emprisonnant à eux.
On a renié toute parenté autre que biologique (raisonnablement indéniable).
On s'est haï d'exister grâce à eux.
(On a dit qu'on était là à cause d'eux.)
On est resté poli par imbécile respect, faute de mieux.
On a voulu les étriper tellement on se détestait.
On a fantasmé le massacre des aïeux et le règne des fiers et brillants ascendants.
On a ignoré l'affection, les ressemblances et l'héritage.
On a rêvé d'être seul au monde, autodidacte, autoné, enfin libre de ces vieux parasites.

Et puis après nous avoir noyé de reproches, on nous a laissé dire, de guerre lasse. "Fais ce que tu veux, je m'en fous à la fin ! C'est ton problème si tu veux tout pourrir."
On s'est senti rien bête, carrément con même.
On a prudemment attendu que les jours passent pour ne pas se faire prendre à avoir tenu compte des paroles.
On a pris le temps d'observer les deux bouts de vieux rabougris.
On ne l'a jamais dit mais ce qu'on s'est trouvé con ce jour-là ! Comme jamais ni avant ni après.

On a découvert deux GIG sans carte pour le parking.
On a découvert deux cœurs gros lourds sabrés et toujours battants.
On a découvert deux vies ardues poussées avec courage dans la brouette Dolores jusqu'au bout des années.
On a découvert deux douleurs de n'avoir pu faire davantage.
On a découvert deux mains veineuses et gonflées
s'enrouler l'une dans l'autre
se protéger jusqu'à la mort
être fidèles à leur serment quoi qu'il en coûte
se consoler sans voix
se bercer même si ça pèse avec l'âge
se bercer comme jamais personne ne l'avait fait pour eux
se bercer et réinventer la tendresse
se bercer nuit et jour
se bercer et attendre la fin, tellement plus tranquillement parce qu'on n'est pas tout seul.

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