samedi 24 août 2013

Duel matricide

Vous vous êtes trompée Mère ici même. Tu te tais mon petit ! Tu n'as pas l'âge d'avoir raison. Mère, il s'agit d'une erreur, regardez...
Un index vindicatif tendu vers l'étage, semonce silencieuse, impérieuse et noire de colère. Soupir désabusé de l'enfant.

Penchons-nous sur les deux protagonistes de cette saynète familiale. 

La mère furibonde sert les dents, écrase ses maxillaires les uns contre les autres. Non, elle ne devient pas chèvre avec ce gamin, elle devient lionne, elle l'étriperait, elle bondirait. Ses muscles de bourgeoise se durcissent aux cuisses, saillent dans ses bras qui sursautent, son bas-ventre s'agite en béance prête à engloutir l'insignifiant puceau qui lui tient tête.
Mais elle est de bonne famille, elle n'est pas une sale gueuse aux doigts noirs. Elle est raide et immobile dans sa robe anthracite. Elle est la femme du professeur.
Elle ne dérogera pas à la règle tacite du savoir-vivre. Il n'y parviendra pas non.
Il lui tourneboule les nerfs effilochés qui se tortillent dans leur gaines qui crissent sous la tension et le frottement. Ils vont peut-être se déchirer en feu et elle ne sera plus la simple lionne qu'elle sent s'étirer puissamment en elle ; elle se dévertèbrera, elle sera la Méduse poulpeuse et infâme, aspirante et éviscéreuse, elle l'anéantira pour son intolérable hybris.
L'index au haut levé, elle désigne la chambre et le ciel et la foudre et l'épée encore descendue d'un cran au-dessus de la tête du chiard. Elle lui désigne la vengeance et la haine que mitonne l'humiliation. Elle l'avertit, les yeux tirant sur leurs élastiques, hors d'eux, ulcérés.

L'enfant, déjà grand mais un petit, regarde sa mère se décomposer. Ce n'est sans doute pas la première fois, il penche imperceptiblement la tête sur le côté. Elle est trop enragée pour s'en apercevoir mais cela lui donne d'autant plus raison.
Il sait pertinemment qu'il dit vrai et que la mère se trompe.
Il sait pertinemment qu'il ne doit pas dire qu'elle se trompe mais il ne peut plus se retenir encore une fois devant ses inepties.
Il ne bouge pas, il ne la laissera pas vaincre par la bêtise, il la regarde au fond du crâne jusqu'à l'occiput et essaye tant bien que mal d'implanter en elle la graine de la logique. Elle y est résistante. Il reste calme parce qu'il craint le père. Mais il la ligoterait avec ses neurones bouillis, il l'écervèlerai. Il la torturerait jusqu'à ce qu'elle soit acculée à briller, à s'illuminer de la citrouille. Elle frôle le poisson rouge et il la hait d'être si faible, si ostensiblement stupide et détentrice d'une autorité légitime. Le monde en est sali. Espèce de bulot mort ! Tu n'auras pas le dernier mot !

Et toute sa vie, c'est lui qui manipulera le dernier mot.
La mère n'est que la première victime d'une longue éradication systématique et sans pitié.

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