Peut-être
aussi, se dit-elle, qu'elle sentait que quelque chose avait changé
en Patate. Parce que oui quelque chose était terriblement en train
de changer en Patate. Les rapports de force qu'elle croyait immuables
se transformaient à vue d’œil, les repères qu'elle était sûre
d'être fixés jusqu'au cœur de la planète se déplaçaient, les
racines indécrottables de son impuissance se dénouaient. Patate,
jeune, encore toute jeune, malgré la douleur, ne savait pas combien
la vie contient d'horizons. Combien l'existence ouvre de portes quand
on en trouve la route. Combien elle-même Patate contenait de
promesses. Elle ignorait tout cela. Elle, je crois, préférait ne
pas espérer davantage que ce qu'elle constatait être sûr, prouvé
et concret, Saint Thomas en herbe. Encore une fois, ce qu'elle
pensait être tel. Tout cela n'est qu'impression. Tout réside dans
des croyances et des fois. L'homme est un être de foi. Voilà ce qui
le différencie de l'animal. Pas un être de religion. Cela n'est
qu'une minuscule partie de la foi, de toutes les fois qui existent.
Ce n'est que la partie étriquée de la foi que ceux qui aspiraient
au pouvoir, qui y aspirent toujours d'ailleurs, pas les mêmes mais
de la même manière, ont affirmé être La foi. Il y a aussi toutes
les autres : la foi en la raison, la plus méconnue et surtout
la plus déniée de ceux qui la pratiquent, qui se récrient que la
raison, la logique et les mathématiques de la science ne peuvent pas
être une foi puisqu'ils en sont le contraire. Sur quels arguments
fallacieux appuient-ils leurs dires ? Sur des histoires de
preuves et de protocoles « scientifiquement prouvés »,
c'est l'expression consacrée. Des choses qui ne peuvent pas mentir,
elles ! Là, ils se méprennent déjà puisque la foi, toute
foi se dédouane d'emblée d'une quelconque vérité. Toute foi admet
sa vérité en laquelle on se contente, si cela peut paraître facile
à certains, de faire une confiance absolue ou du moins parfois
entière. On n'est pas obligé d'avoir la foi tout le temps. Qui ne
doute pas de sa foi primordiale ? Celle de ses tripes ?
Hein dites ?! Pour ce qui est du protocole scientifiquement
prouvé et des preuves irréfutables, elles le sont à un instant T,
dans un espace E, dans une société S, dans les mains de Messieurs X
et Y. Elles sont convaincantes et pour partie irréfutables. Mais une
fois l'observateur ou auditeur décentré de son espace-temps et son
objectivité toujours subjective, tout se questionne à nouveau.
Peut-être pas tout à fait tout, d'accord. Mais une grande majorité.
Après, l'on choisit d'y croire et de le prendre comme repère. Et on
est rassuré. L'on peut tourner les talons et reprendre sa vie sans
se demander ce que l'humain peut bien faire sur cette terre.
Patate
se rend compte que la religion, oui ça lui parle, oui c'est un
secours, oui elle prie pour ne pas sombrer, oui elle y croit, et elle
n'en a pas honte. Elle y croit tout en se disant qu'elle est humaine
et qu'elle a besoin d'y croire mais que finalement rien ne lui donne
à croire que. Elle y croit comme on croit à une pilule bleue
délivrée par un gentil et beau médecin à la voix douce. On n'a
qu'envie d'y croire. Mais elle a également d'autres fois : les
mots, le langage, le verbe. Elle a foi en son incroyable puissance.
Elle croit dur comme fer qu'ils peuvent mener quiconque au bout du
monde. C'est son dada à elle, son canasson préféré, celui qui
l'accroche à la vie et au réel. Elle n'en fait rien de plus que de
le penser et de le dire parfois, aux adultes, qui même idiots, sont
plus avancés sur ce point que ses pairs imbéciles.
On
pourrait penser que Patate est hautaine, qu'elle s'imagine plus
intelligente que les autres. Sûrement pas ! Détrompez-vous et
que les choses soient claires à l'avenir ! C'est moi qui dit
ça. Parce que, ben oui je prends la défense de mon personnage, ben
oui ! Sinon, si je ne l'aime pas, à quoi cela sert-il que je
lui écrive tant de pages ? Hein ? … Ne répondez pas
tous à la fois surtout ! Bien sûr que je l'aime de tout mon
cœur ce personnage. C'est mon enfant, celui que j'ai adopté et que
je défends bec et ongles contre les aridités de la vie, que
j'essaye de réparer, de panser du moins, autant que faire se peut.
Je ne dirais pas « c'est mon bébé », comme vous
l'attendiez peut-être. Ce n'est pas mon bébé puisqu'elle est
légumescente ! Je ne l'ai pas adoptée bébé et je ne la
traiterai pas comme un nourrisson. C'est trop tard. Le mal est fait
et je ne l'ai même pas connue à l'époque alors... C'est mon enfant
et je prends son parti contre tous les autres. Pas bêtement mais
pour rendre justice. Donc c'est bien moi et non elle qui parle
d'idiots et d'imbéciles. Elle aces idées-là mais très loin,
derrière la tête, elle ne peut pas les attraper. Elle en a honte et
elle ne veut pas être de ceux-là. Patate a à cœur d'être une
personne qui ne méprise pas. Elle est tentée, comme tout un chacun,
avec les plus forts surtout, les plus impertinents. Mais elle ne s'y
autorise pas. Elle ne veut pas être de ceux qu'elle combat. Elle
avait envie de mépriser Carotte, de toute son âme. Mais elle
n'aurait pas arrangé son cas et se serait d'autant plus méprisée
elle-même. Elle n'était pas mieux que les autres et se le serinait,
ou plutôt une petite voix, une grosse voix intérieure lui serinait
combien l'humilité était un gage de valeur.
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