En
fait, toutes ces considérations nous mènent à un renversement,
voire un rebondissement notoire. Regardez donc : il y a
grossièrement dans la vie, selon Patate, les gens comme elle, qui
ont peur, qui ne savent pas dire non, qui se retournent en criant
quand leur ombre les suit de trop près. Il y a de l'autre côté du
grand mur, l'Infranchissable, les Carotte : peur de rien, font
ce qu'ils désirent, jouent avec leur monde. Entre les deux donc, ce
mur, cet enculé de mur auquel Patate croit dur comme fer. Le mur sur
lequel on peut se lamenter aussi, même si ce n'est pas celui qu'on
connaît tous. Ce mur qui fait croire, précisément. Il nourrit la
foi de Patate en son impuissance. Parce qu'on n'en a pas parlé mais
bien sûr que Patate a une foi sans limites pour son impuissance. On
a vu que ça commence un moment à changer mais ça s'en va et ça
revient, c'est de la haute mer et mieux vaut ne pas être trop
mal-au-coeureux. Ce mur est d'une inconstance désespérante. Il est
toujours plus ou moins là, Patate le sait, ceux de son espèce
aussi. Il se laisse oublier, transparent, perd en consistance parce
que la foi bien que vivante n'est pas au premier plan. Mais quand la
peur revient, quand l'accroc qui débine tout se fait jour, le mur
fait briller ses pierres comme un salopard de paon en rut. Il est
plus fort que tout et il fait croire, fait avaler n'importe quoi. Les
Patate deviennent stupides face à lui, perdent tous leurs moyens.
Les Patate ne sont plus que des robots qui font semblant d'être
comme les autres. Derrière, ils peuvent voir les Carotte s'amuser et
jouir de la vie à leur habitude, ne rien changer à leur
train-train. Ils voient cette injustice. Ils ragent. Ils crachent.
Ils jurent contre ce bel enculé de mur, et pour aller jusqu'au bout,
c'est plutôt lui qui les encule. Ils ne sont que des victimes, des
moutons noirs. Alors qu'ils voudraient pour certains d'entre eux, pas
tous, soyons honnêtes, se défaire de cette malédiction, ce qu'ils
croient tel à ce moment-là. Parce que la foi devient superstition
alors. Ils deviennent débiles, je l'ai dit !
Sauf
que voilà, Patate commençait depuis son aventure chez Carotte à
voir tourner sa foi. Son impuissance lui semblait bien moins
évidente. Le mur bien moins net. Il n'avait certainement pas
disparu, pas d'idiotie. C'est un mur nourri de foi. C'est un mur
d'une solidité à toute épreuve. Il a attrapé le sol de ses
racines gluantes et ne lâche pas prise d'un seul coup. Mais
justement, il prend des coups, longtemps avant de se fissurer et de
peut-être un jour s'écrouler. Il faut taper au bon endroit, au
point sensible, au minuscule mais exact point faible. Patate sentait
qu'elle avait peut-être une ouverture sur le monde d'en face et
qu'elle n'était pas vouée à ce monde-ci. Parce qu'elle commençait
à y croire. Parce qu'elle avait vu que ni le mur ni rien d'autre ne
fige les gens et les clans. Que ce sont des vues de l'esprit et que
tout est mobiles et que... Je m'emballe. Elle n'en était pas là
mais l'espoir d'abattre avec toute sa violence ruminée beaucoup trop
souvent, avalée mais indigérable, avalée remontée, avalée
remontée, avalée remontée sans cesse ce mur de mort.
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