lundi 5 juin 2017

Mur de mort

En fait, toutes ces considérations nous mènent à un renversement, voire un rebondissement notoire. Regardez donc : il y a grossièrement dans la vie, selon Patate, les gens comme elle, qui ont peur, qui ne savent pas dire non, qui se retournent en criant quand leur ombre les suit de trop près. Il y a de l'autre côté du grand mur, l'Infranchissable, les Carotte : peur de rien, font ce qu'ils désirent, jouent avec leur monde. Entre les deux donc, ce mur, cet enculé de mur auquel Patate croit dur comme fer. Le mur sur lequel on peut se lamenter aussi, même si ce n'est pas celui qu'on connaît tous. Ce mur qui fait croire, précisément. Il nourrit la foi de Patate en son impuissance. Parce qu'on n'en a pas parlé mais bien sûr que Patate a une foi sans limites pour son impuissance. On a vu que ça commence un moment à changer mais ça s'en va et ça revient, c'est de la haute mer et mieux vaut ne pas être trop mal-au-coeureux. Ce mur est d'une inconstance désespérante. Il est toujours plus ou moins là, Patate le sait, ceux de son espèce aussi. Il se laisse oublier, transparent, perd en consistance parce que la foi bien que vivante n'est pas au premier plan. Mais quand la peur revient, quand l'accroc qui débine tout se fait jour, le mur fait briller ses pierres comme un salopard de paon en rut. Il est plus fort que tout et il fait croire, fait avaler n'importe quoi. Les Patate deviennent stupides face à lui, perdent tous leurs moyens. Les Patate ne sont plus que des robots qui font semblant d'être comme les autres. Derrière, ils peuvent voir les Carotte s'amuser et jouir de la vie à leur habitude, ne rien changer à leur train-train. Ils voient cette injustice. Ils ragent. Ils crachent. Ils jurent contre ce bel enculé de mur, et pour aller jusqu'au bout, c'est plutôt lui qui les encule. Ils ne sont que des victimes, des moutons noirs. Alors qu'ils voudraient pour certains d'entre eux, pas tous, soyons honnêtes, se défaire de cette malédiction, ce qu'ils croient tel à ce moment-là. Parce que la foi devient superstition alors. Ils deviennent débiles, je l'ai dit !
Sauf que voilà, Patate commençait depuis son aventure chez Carotte à voir tourner sa foi. Son impuissance lui semblait bien moins évidente. Le mur bien moins net. Il n'avait certainement pas disparu, pas d'idiotie. C'est un mur nourri de foi. C'est un mur d'une solidité à toute épreuve. Il a attrapé le sol de ses racines gluantes et ne lâche pas prise d'un seul coup. Mais justement, il prend des coups, longtemps avant de se fissurer et de peut-être un jour s'écrouler. Il faut taper au bon endroit, au point sensible, au minuscule mais exact point faible. Patate sentait qu'elle avait peut-être une ouverture sur le monde d'en face et qu'elle n'était pas vouée à ce monde-ci. Parce qu'elle commençait à y croire. Parce qu'elle avait vu que ni le mur ni rien d'autre ne fige les gens et les clans. Que ce sont des vues de l'esprit et que tout est mobiles et que... Je m'emballe. Elle n'en était pas là mais l'espoir d'abattre avec toute sa violence ruminée beaucoup trop souvent, avalée mais indigérable, avalée remontée, avalée remontée, avalée remontée sans cesse ce mur de mort.

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