Patate n'a pas essayé d'en
parler, n'y a pas même pensé. Elle a foi dans le verbe mais ironie
de la vie, elle ne s'en saisit pas pour abattre ce mur d'une autre
foi. Elle ne sait pas que les fois se combattent et qu'elles
s'annulent. Elle croit trop dur au mur de mort. Alors encore et
encore, elle se tait. Elle sait qu'il ne faut pas dire ce genre de
choses, que c'est péché, danger, échoué d'avance comme une grosse
baleine obèse et acnéique sur une toute petite plage de la Côte
d'Azur remplie de beaux gosses à Ray Ban et de pétasses
monokiniques. Au vu de ce risque majeur, elle se tait. On ne peut que
la comprendre n'est-ce pas ? Elle n'en parle pas parce qu'elle
n'imagine pas une seule seconde qu'on peut partager cette chose-là
et qu'elle n'est pas l'unique détentrice de cette image répugnante.
Même le mur, qu'en dire ? Se lamenter ensemble ? Elle
n'est pas de ce pain-là. Et pourtant...
Un saut de quelques mois pour les
besoins de cohérence de la narration. Vous me l'accorderez. Pas le
choix. Patate a beau avoir vu les clans et les repères bouger, le
monde n'a pas encore changé. Pas encore le big bang tant attendu.
Mais, à venir... Toujours est-il donc que, quand même, quelque
chose survient. Patate n'avait toujours pas parlé, toujours pas
sorti le gros lot, gerbé la méga galette complète. Patate en était
toujours au même point avec son mur. Elle était tranquillement dans
sa chambre un soir de week-end, en pleine lecture, sans bruit, comme
toujours. Silencieuse Patate. Le frère Kiwi rentra en frappant. Elle
s'arrêta de lire. Il était grave et sombre. Cela lui arrivait, pas
si rarement. Elle ne s'en effrayait pas. Et même si elle restait
muette, elle connaissait bien ça et elle compatissait. Il s'assit à
côté d'elle sur le lit :
« ça va Patata ?
- ça va.
- Ça va toujours toi, hein ?!
- …
- Je sais que tu ne diras rien ma Patata. Mais je sais que tu entends et comprends.
- Oui, ça je sais faire.
- Je sais. Même si tout le monde n'est pas au courant.
- …
- Connais-tu un mur ?
- Un mur ?
- Un mur qui t'empêcherait de... de presque tout. Surtout de sourire et parler.
- Rien ne m'empêche jamais de sourire, malheureusement.
- Oui, c'est vrai.
Il sourit.
- Un mur comment ?
- Un mur de mort.
- …
Patate est choquée, comme une
bombe dans son univers. Toujours pas le big bang dont on parlait
ci-dessus. Une bombe qui défonce bien méchamment le mur.
- L'as-tu déjà vu ?
- Oui.
- Alors nous voilà deux soeurette. Il me poursuit moi aussi. Ne me regarde pas comme ça.
Il rit doucement.
- Ben c'est dingue.
- Non c'est triste.
- Aussi oui. Mais putain on est deux.
- On est putain de beaucoup plus que ça ma Patata. Beaucoup plus que ça. Alors lève-toi et parle.
- Facile à dire.
- C'est vrai. Mais désormais tu sais. Ne l'oublie pas quand il se dresse devant toi et te hurle dessus. N'oublie pas tes semblables.
- Je penserai à toi Kiki.
- Si tu veux la belle. Mais pas de Kiki !, dit-il en riant, même ici maintenant. N'en profite pas hein !
Il la serre fort dans ses bras et
s'en va.
Elle est penaude.
Elle est toute chaude.
Elle l'aime de tout son cœur,
celui-là.
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