dimanche 25 juin 2017

La vraie vie

Cela lui donna d'autant plus envie de retourner observer chez Carotte. Cette dernière ne devait pas se méfier d'un retour de flammes, pensant sans doute avec en tête l'ancienne Patate, démissionnaire. Et Patate savait qu'elle n'avait pas grand-chose à craindre. De toute façon, elle ne craignait plus pour une fois. Elle avait pris le pli et trouvé le truc pour opérer en toute impunité. Elle trouvait la vie juste enfin.
Elle passa la journée apaisée, le ventre libre d'angoisses et d'interdits. Libre de faire, de dire. ça n'allait sans doute pas durer toujours. Elle en profitait. Sur un petit nuage tout en ne perdant pas le nord, presque surprise de se mouvoir sans heurts. Sans doute les autres, certains autres s'aperçurent. Mais elle n'eut pas envie de le voir ni envie d'y prêter attention. Elle s'intéressait à elle-même, juste à elle-même en égoïste, égocentrique, grande narcissique d'un jour. Elle ressentait ce que c'était de s'aimer soi-même, de tourner autour de soi, en boucle fermée, en cercle vicieux peut-être, mais pour le moment peu lui importait. Elle retournait son regard sur elle-même et elle jouissait d'avoir découvert un autre visage, une autre facette qu'elle pourrait enfin aimer.
Le soir-même, elle prépara son baluchon afin de se rendre à nouveau chez la Carotte family. Elle était toute excitée. Bien plus que d'habitude. Parce qu'elle savait qu'elle ne faisait pas cela en vain. Elle allait faire le plein d'informations qui la rendraient encore plus forte. Rien que de les avoir, de les brandir à mi-mots à la face ou à l'oreille de Carotte, et elle détenait sa liberté. Elle grossissait sa liberté, elle la nourrissait comme son bébé miracle. Elle n'avait pas besoin de divulguer en haut-parleur, de crier sur tous les toits. Il suffisait d'insinuer. Ce n'était pas joli joli ? Non non, ce n'était pas joli joli et voilà tout. Le joli tout beau n'avait jusque là rien donné de bienheureux et ne satisfaisait que les adultes finis et replets qui ne voyaient pas plus loin que le bout de leur nez. Alors les remords, elle les remettait à demain. Ou plus si c'était possible. Elle espérait secrètement qu'ils ne reviendraient plus jamais la hanter, comme par magie. Elle savait pertinemment que c'était un vœu pieux. Elle savait parfaitement que là, elle s'en moquait.
Elle partit sautillant par le froid le plus glacial. Il lui piquait méchamment les doigts, le nez et les oreilles. Elle avançait sans souci. Elle arriva à sa planque habituelle. Elle avait entendu des cris, à peine arrivée à proximité de la maison. Elle avait souri en se faufilant. Cruelle. Elle jeta un regard par le bas de la fenêtre. Carotte était en train de hurler sur sa mère. Patate pourtant prête à tout, fut prise d'un haut-le-coeur tant les mots étaient insultants. Non qu'elle n'imaginât pas que cette mère fût incompétente, bien au contraire cela était évident. Mais personne ne méritait tout de même que l'on s'adresse ainsi à lui. Patate sentit là où se situaient ses limites, ses valeurs, les siennes, les plus profondes, celles qui faisaient vibrer les tripes. Elle découvrait encore une chose : elle détenait des valeurs propres, qu'elle devait bien sûr aux autres, elle n'était pas assez bête pour penser comme Carotte s'auto-suffire. Mais elle n'avait jamais senti ce qui lui importait vraiment. Elle agissait ainsi ou autrement parce qu'il le fallait, parce qu'elle le devait, pour éviter les problèmes. Désormais, se dévoilait ce en quoi elle croyait. Pour l'instant du moins.
« Espèce de débile profonde. Et dire que je suis de toi ! Ce n'est pas possible ! Tu n'es pas ma mère.
  • Carotte !
  • Oui, Carotte, Carotte quoi ?!! je vais changer de nom, je vais changer de vie, je vais tout changer pur ne surtout rien avoir de toi, pour n'être rien de toi. Tu es pourrie de l'intérieur. Tu es une honte ! Ne me touche plus jamais, ne me parle plus ! Tu n'es même pas capable d'élever tes enfants correctement. Tu n'es qu'une inutile, parasite. Et tu te laisses tromper de tous les côtés par ton mari, sans réagir, sans le quitter. Quitte-le une fis pour toutes et débarrasse-nous le plancher ! On sera tranquille sans toi. Putain !
Patate se tourna et vis, ébahie, le père de famille, dans un coin, appuyé au chambranle qui assistait à la scène sans mot dire. Il avait un petit sourire répugnant. Il était beau comme un dieu. Il intervint quand Carotte eût fini sa tirade haineuse.
« C'est bon Carotte Arrête ça ! Ce ne sont pas tes affaires.
  • Pas mes affaires Papa ? Mais je sais tout. Tu m'as raconté.
  • Je n'aurais pas dû. Et je n'ai pas raconté. Tu as compris toute seule.
  • Tu ne t'es pas caché.
  • C'est vrai. Il n'empêche que ce ne sont pas tes affaires. Bien sûr que ta mère et moi ne nous entendons plus mais reste en-dehors de ça.
  • Alors pourquoi tu m'en parles ?
  • Mais c'est toi qui m'en parles ma grande !
  • Arrête de parler comme ça parce qu'elle est là.
  • Je te parle comme d'habitude Carotte. Calme-toi ma belle.
  • Papa !!
  • Allez, va dans ta chambre et repose-toi. Tu es trop énervée, tu perds pied.
  • Mais...
  • ALLEZ ! MONTE !
Il avait crié d'un coup absolument imprévisible. Carotte rougit comme une tomate, vexée, enragée, jalouse, elle jeta un regard de haine à sa mère pleurant sur le canapé et monta avec fracas. Le père rit de bon cœur. Patate n'en croyait pas ses yeux. Elle s'assit et souffla. Son sang battait dans ses tempes. Elle était hors d'elle. Elle avait envie de frapper. Que s'était-il donc passé ?

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