Plus tard, quand elle aura grandi
et souffert toute l'amertume possible, jusqu'au bord du précipice le
plus obscur, Patate peut-être trouvera la clef du mur et le petit
trou qui lui échappe encore mais qui effondre l'édifice en un
tournemain. Pour le moment, avec les moyens du bord, encore un autre
bord, elle s'entoure des plus chers et des plus beaux (ceux qu'elle a
choisis tels, pas ceux que tout le monde trouve. S'il y a bien un
lieu où elle se fiche de l'opinion des autres, c'est celui des
livres et de leurs héros. Elle n'aime pas toujours, pas souvent ce
que ses pairs apprécient et elle n'a pas peur, elle ne se sent pas
seule. Ils lui donnent la force, tous, au creux des pages.) Elle
s'entoure, elle lutte contre la solitude. Elle ne peut plus être
seule car elle sait désormais que c'est possible. Mais elle n'a pas
encore trouvé la véritable issue, celle qui ne joue pas avec ses
sens et qui fera disparaître le mur. Ce n'est pas un vœu pieux.
Mais Patate pour l'instant ne la voit pas et en effet, la considère
comme une superstition ou une magie idiote qui jamais ne surviendra.
Elle a fait, déjà, le deuil de cette victoire. Mais contrairement à
ce qu'on croit les légumescents opèrent des tas de deuils
successifs, parfois hâtifs, beaucoup plus violents que ceux des
soi-disant adultes.
Venons-en à cette clef que
Patate ignore encore. Cette clef, c'est une idée, une pensée, dont
elle rêve de très loin, d'aussi loin que Pluton parfois mais
qu'elle est certaine n'être pas sienne. Elle rêve de sa clef. Il
faudra qu'elle la laisse s'approcher et qu'elle accepte de s'en
saisir. Une idée si vraie et si intense qu'elle ne peut plus être
niée, une fois qu'elle est vraiment entrée en soi. L'idée, le rêve
qui devient réalité, ce n'est pas qu'une phrase, qui abat les
cartes, qui achève le jeu pervers auquel on n'a jamais voulu
participer. Une idée qui remet le corps en place, qui annule
l'impression de guingois, de bizarre, d'hybride, de monstrueux et
d'anormal, d'handicapé invisible. L'idée qui laisse chaque chose,
chaque organe, chaque membre revenir à sa place calmement et se
mouvoir et agir comme il le doit sans ordres et contre-ordres
paradoxaux, sans battements dérythmés, sans coups bas. L'idée qui
laisse filer chacun où il le veut sent aime. Le corps est tout
entier à sa place, la tête ne lui en veut plus, croyant être des
plus distinctes de ce malotru. La cohabitation pacifique, fluide,
douce. Le sang coule sans à-coups, sans hésitations, de la tête
aux pieds. Et le sourire se dessine sur le visage sans forcer, parce
que le monde intestin est clair et net. Le mur de mort ne survit pas
à cela. L'idée, depuis longtemps rêvée, devenue réalité, a
raison du mur en un clin d'œil. Non pas en un clin d'œil, ça c'est
encore du rêve. Mais il se désagrège peu à peu, au fur et à
mesure que la pensée s'impose et prend corps dans l'être. Il hurle
comme un diable à l'agonie. Il n'aura plus jamais le dernier mot.
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