Pour l'une des premières fois,
Patate sent qu'elle n'est pas si patate que ça. Moins informe que
ça. On a parlé du mur. On a parlé de l'intérieur. Mais il y a
aussi, aussi !, le contour. Le contour de l'être, ses traits
trop fins jusque là, parfois même inexistants. Pas de beau
contours noirs et francs sans appel. Un trait timide dans un autour
incertain. Patate se sent patate, la bien nommée, sans véritable
caractère, sans goût, sans odeur et dans un ovale oblong changeant
et insécure. Eh bien, l'idée-clef donne un premier coup de feutre
profond et sans ratures sur les hanches. Le bassin, creux de tous les
ancrages. Il n'y a que cela pour l'instant oui mais ces deux petits
coups d'encre noire claire et nette, sans trous ni mous, bloquent
toute possibilité de tsunami et de submersion totale. Les hanches
sont fixées enfin. Elles sont là, pivot de l'être, prêtes à en
découdre, prêtes à porter le haut et le bas. Patate sent pour la
première fois que l'idée-clef la visse Elle s'emboîte dans ce
bassin-là qui a toujours brinquebalé, donnant cette terrible
impression de pouvoir chuter et s'écrouler à chaque moment, chaque
pas, que rien n'est sûr, pas même le très facile pas prochain tout
droit devant sans obstacles. Il y a le mur de mort. Il y a aussi ce
corps débile. Mais si les hanches se fixent, tout devient moins
dangereux et l'on peut même se regarder en face sans trop rougir.
Patate n'a plus peur de, d'un coup, tomber en poussière comme un
faux, un plagiat, un intrus, un usurpateur. Elle peut relever la tête
parce qu'elle commence à prendre forme, en plein milieu du corps, en
plein cœur. La matrice de son être se réveille. Elle ne pourra
plus se rendormir. Une fois en marche, elle est lancée pour toute
une existence. Et Patate le sait sans savoir comment. Elle sait
qu'elle ne s'écroulera plus face au mur et que même s'il persiste,
elle aussi sera là, solide quelque part. Le reste de son contour
reste flou. Paris ne s'est pas construit en un jour. Elle est déjà
comblée d'être certaine d'un bout d'elle-même, le cœur autour
duquel elle pourra manoeuvrer. Elle pourra tout, elle pourra faire de
ses rêves du vrai, elle qui pensait demeurer en irréel jusqu'à la
fin. Elle n'avait en fait jamais imaginé la vie autrement. Elle
n'avait jamais été autre chose qu'une patate floutée et malléable
à merci. Elle perçoit que ses mains vont pouvoir modeler, même si
elles aussi manquent d'un véritable coup de feutre noir. Elle aura
le courage. Elle fixera comme une folle ses hanches, son bassin
salvateur, elle l'entraînera comme un sportif de haut niveau pour
que le monde se mette à sa portée. Patate avec cette seule arme
peut-être s'enfermera mais ce sera en elle-même, pas dans un autre,
en fantôme, errante. Elle sera peut-être, sans doute, trop dure,
trop impitoyable. Mais elle n'aura pas le choix que d'exister
ardemment autour de ces premiers traits réanimants. Elle ne laissera
plus passer sa chance. Plus comme avant. Patate se révèle.
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