dimanche 18 juin 2017

Patate prend forme

Pour l'une des premières fois, Patate sent qu'elle n'est pas si patate que ça. Moins informe que ça. On a parlé du mur. On a parlé de l'intérieur. Mais il y a aussi, aussi !, le contour. Le contour de l'être, ses traits trop fins jusque là, parfois même inexistants. Pas de beau contours noirs et francs sans appel. Un trait timide dans un autour incertain. Patate se sent patate, la bien nommée, sans véritable caractère, sans goût, sans odeur et dans un ovale oblong changeant et insécure. Eh bien, l'idée-clef donne un premier coup de feutre profond et sans ratures sur les hanches. Le bassin, creux de tous les ancrages. Il n'y a que cela pour l'instant oui mais ces deux petits coups d'encre noire claire et nette, sans trous ni mous, bloquent toute possibilité de tsunami et de submersion totale. Les hanches sont fixées enfin. Elles sont là, pivot de l'être, prêtes à en découdre, prêtes à porter le haut et le bas. Patate sent pour la première fois que l'idée-clef la visse Elle s'emboîte dans ce bassin-là qui a toujours brinquebalé, donnant cette terrible impression de pouvoir chuter et s'écrouler à chaque moment, chaque pas, que rien n'est sûr, pas même le très facile pas prochain tout droit devant sans obstacles. Il y a le mur de mort. Il y a aussi ce corps débile. Mais si les hanches se fixent, tout devient moins dangereux et l'on peut même se regarder en face sans trop rougir. Patate n'a plus peur de, d'un coup, tomber en poussière comme un faux, un plagiat, un intrus, un usurpateur. Elle peut relever la tête parce qu'elle commence à prendre forme, en plein milieu du corps, en plein cœur. La matrice de son être se réveille. Elle ne pourra plus se rendormir. Une fois en marche, elle est lancée pour toute une existence. Et Patate le sait sans savoir comment. Elle sait qu'elle ne s'écroulera plus face au mur et que même s'il persiste, elle aussi sera là, solide quelque part. Le reste de son contour reste flou. Paris ne s'est pas construit en un jour. Elle est déjà comblée d'être certaine d'un bout d'elle-même, le cœur autour duquel elle pourra manoeuvrer. Elle pourra tout, elle pourra faire de ses rêves du vrai, elle qui pensait demeurer en irréel jusqu'à la fin. Elle n'avait en fait jamais imaginé la vie autrement. Elle n'avait jamais été autre chose qu'une patate floutée et malléable à merci. Elle perçoit que ses mains vont pouvoir modeler, même si elles aussi manquent d'un véritable coup de feutre noir. Elle aura le courage. Elle fixera comme une folle ses hanches, son bassin salvateur, elle l'entraînera comme un sportif de haut niveau pour que le monde se mette à sa portée. Patate avec cette seule arme peut-être s'enfermera mais ce sera en elle-même, pas dans un autre, en fantôme, errante. Elle sera peut-être, sans doute, trop dure, trop impitoyable. Mais elle n'aura pas le choix que d'exister ardemment autour de ces premiers traits réanimants. Elle ne laissera plus passer sa chance. Plus comme avant. Patate se révèle.

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