lundi 11 juin 2018

Il était une fois...




Prologue

Vous savez, ces gens sans qui la vie n'aurait pas tourné pareil. On en a tous. Quand on n'a pas peur, ce qui n'est pas mon cas, on parle carrément de ceux qui ont changé notre vie. De là à la sauver, il n'y a qu'un pas. Mais rares sont les individus capables d'avouer ces vérités-là. Les vieilles gens peut-être. Certaines. Ils sont sûrs avec le recul de pouvoir l'affirmer. Et ils ne sont plus retenus, je suppose, par cette nécessité franco-française de ne pas trop s'étonner ni surtout encore moins s'émerveiller. Il est de bon ton et gage d'un grand sérieux de ne se laisser surprendre par rien. Quant à se laisser émouvoir, Mon Dieu quelle impudeur ! Un monde libre dit-on... Mais je m'égare avant même d'avoir commencer mon récit. Sachez donc, en tout cas, que je n'hésiterai pas, dans la mesure de mes moyens de femme d'âge moyen, pas encore avancé, à m'émerveiller. Quitte à passer pour une imbécile heureuse ? Quitte à, oui. Car s'émerveiller n'est en aucun cas une naïveté sauf les adeptes de la grande prêtresse du Scepticisme. C'est pourtant souvent elle qui porte la naïveté bien davantage que l'émotion.

L'histoire que je vais vous raconter, n'ayez crainte, elle arrive, est celle de la jeunesse follement catégorique. La jeunesse tyrannique. Dure à crever. Prête à tout pour parvenir à ses fins, à se prouver qu'elle a raison et peu importe les coûts. La jeunesse cruelle. C'est elle la plus cruelle. De loin. Elle ne laisse pas une miette. Elle ricane comme une hyène. Elle peut se nourrir de charogne si cela sert sa cause. C'est ce que j'ai vu de la jeunesse. Peut-être suis-je un cas vraiment très à part que les livres et les adultes ne mentionnent pas du fait de son exceptionnellité. Quel honneur ! ? Ou quelle honte... Ou peut-être tout simplement veut-on se souvenir d'une jeunesse insouciante là encore quoi qu'il en coûte pour se nourrir de doux souvenirs. Chacun sait au fond de lui que la jeunesse est loin d'être le plus bel âge et qu'être enfant puis adolescent peut couler, mais peut aussi être un calvaire de chaque jour, dans le silence le plus tonitruant qui soit dans l'existence. Jamais plus par la suite, on ne retrouve ce silence. Cette solitude dévorante.
Et un jour, tous les jours, sans exception, pendant des mois et des mois, tirée de ses propres affres par deux de ceux qui changent la vie.
Je n'en dirai pas plus. Je vous laisserai tirer les conclusions qui se doivent en temps voulu. Tirer d'affaire ? Sauver la vie ? On ne le saura jamais. Ou le sait-on déjà ?





          Je vivais dans un monde parallèle. Je me sentais être une extra-terrestre. Je ne comprenais rien à ce qu'on attendait de moi. Je le faisais à l'instinct, par crainte et parce que je n'avais non plus rien d'autre à faire. Les règles remplissent le vide intersidérale qui pourrait nous envahir alors à ce moment de la vie. Heureusement, il y en avait tellement à suivre que j'y plongeais avec volupté. Je n'avais pas le temps pour autre chose que pour suivre les règles. Elles, j'étais sûre de les comprendre, celles qui étaient énoncées explicitement. Les autres, tacites ou fluctuantes, me laissaient terrifiées et je me raccrochais à celles qui se criaient le plus fort. La loi du plus fort reste une constante relativement fiable lorsqu'on ne possède aucun autre décrypteur de réalité. Je faisais en moi-même référence au monde animal, rationnelle, en me rappelant que le plus fort est souvent le plus tranquille et que suivre la meute demeure le plus sage en maintes circonstances. La fuite était encore alors en question : je savais que les animaux et donc moi-même en tant qu'animal avions cette tendance innée à fuir le danger inutile. Mais j'avais beau raisonner aussi correctement que pour ce qui était de la loi du plus fort et de la soumission au groupe, je ne pouvais pas encore m'y résoudre. Je n'en étais pas capable et je ne m'autorisais pas même à penser que la fuite puisse être autre chose que lâche. Alors qu'elle aurait pu m'être si pratique souvent. Mais il est toujours temps de se rattraper.
Je vivais dans un monde parallèle, non parce que je rêvais ou que je refusais de partager l'univers de mes congénères. Je vivais dans un monde parallèle car mon chemin était excentré. Toujours à côté, derrière, devant, dessous, trop loin, trop lente, trop stress. Trop ou pas assez, jamais dans le bon sillon. Je ne sais pas toujours pas si c'était le cas, si cela apparaissait à tous. Les autres me semblaient le crier. Je voyais leurs regards désarmés, moqueurs, lointains, qui me le signifiaient. En tout cas, c'est ce que je croyais voir dans leurs yeux. Je ne saurai jamais. Et c'est un drame comme un miracle. Tout peut se réécrire sans cesse.
            Je n'attendais personne. Ou pour mieux dire, je n'attendais plus personne. J'avais espéré tant et plus que la cuve était vide. L'espoir agonisait. J'avais donc préféré, en toute conscience l'exécuter définitivement ou presque. Du moins, je me faisais croire à mon total scepticisme. J'avais délibérément choisi l'immobilisme. Une mort sous cape. Celle qu'on met en scène sans même le savoir. Je me targuais de pouvoir être seule. Et cela n'était pas faux. J'étais prête, enfin, à être seule et à repousser tous ceux qui m'empêcheraient. De quoi qu'ils m'empêchent, je ne les laisserais plus faire. Plus jamais. J'avais prononcé tout bas, le regard au loin, à travers la vitre d'une voiture, ce « Plus jamais ». Je l'avais prononcé une dizaine de fois dans ma tête, seule. On n'avait pu l'entendre. Mais je savais pertinemment qu'en effet, plus jamais ma vie ne serait la même. J'avais choisi de ne plus rien attendre des autres. Et aussi de me venger. Il ne s'agissait pas seulement de prendre ma revanche. Il s'agissait de se venger : faire souffrir et regarder couler les larmes sans ciller. Sans sourire non plus. Quoi que...
J'avais toujours été sage. Plus jamais je ne le serais. Je m'en faisais la promesse éternelle. Sans un bruit, sans un boum. Dans le calme le plus total.
Et en effet, c'est bien ce jour-là, les yeux collés à la fenêtre fermée de la voiture que je ressentis le calme pour la première fois. Le calme après la tempête me disais-je. Enfin la guerre est finie.
Tout le monde crut que la guerre commençait.
Dans la vie, tout n'est qu'une question de point de vue.



             C'est donc ce jour-là que je naquis à moi-même. Je n'avais jusque là été qu'une poupée qu'on trimballe, qu'on jette, qu'on câline, quand on veut. En libre accès. Je devins alors une véritable personne. Je n'avais jamais eu le sentiment d'en être une. Et la suite en donne encore davantage de preuves. Je me renaissais, auto-engendrée. A partir de là, la famille fut accessoire. Un passé que je voulais oublié. Une planète sur laquelle je devais chaque soir revenir, mais désormais en étrangère, en invité hautaine. Je N'étais plus un membre de ce clan. Je n'avais jamais eu la sensation de l'être. Je m'accordais désormais de ne plus l'être du tout. C'était en tout cas ainsi que je réécrivais l'histoire à l'époque.
Là encore, l'histoire se réécrit à chaque âge et celui-là était le temps d'un nouveau monde. Pas seulement un nouveau départ. Un vrai nouveau monde où tout aurait une autre saveur, comme passée de l'autre côté du miroir. Comme un gant retourné. La tête à l'envers. Et finalement se sentir plus droit.
J'arrivais en cette rentrée scolaire neuve, prête à une existence inconnue mais dont j'étais maître. Ce n'était pas qu'un leurre. Bien sûr que je n'étais pas plus maîtresse qu'une autre de mon destin. Je l'étais davantage que je ne l'avais jamais été. J'avais imaginé, avec certitude, étonner les autres, bien sûr. C'était l'un des objectifs de cette entreprise. Mais aussi qu'ils seraient admiratifs ou du moins reconnaissants d'une certaine vigueur. En réalité, c'est mon intention la plus sombre qui les prit à la gorge et les plongea dans une inquiétude désolée. Notre monde est intolérant au désespoir.
On commença à s'inquiéter. J'en conclus que le monde n'appréciait pas la libération des âmes. J'étais plus heureuse qu'au temps de tous mes sourires. Le sourire est un terrible faux-ami. Les adultes en sont invariablement dupes. Et les enfants diablement adeptes de cette arme fatale. On meurt de sourire et faire croire. Mais personne n'en parle. Je décidais de mettre en place la stratégie de non-sourire inutile. Il n'en restait pas beaucoup. La notion d'utile et inutile s'est avérée cruciale à ce tournant de ma vie. Je pris le parti extrême de considérer comme inutile tout ce qui relevait de la politesse et de la gentillesse sans émotion. Vous imaginez bien qu'il ne restait plus grand-chose à se mettre sous la dent. Les sourires de réponse, pure et simple convention qui assure des relations pacifiques ou les annoncent, étaient eux aussi bannis. Je regardais droit dans les yeux ceux qui me souriaient dans un bonjour agréable, refusant de m'abaisser à cette règle sociale hypocrite. Je regardais simplement la personne lui signifiant par là que nous étions en effet bien en relation mais que la paix ne tenait pas à ce sourire de façade que je honnissais désormais. Il m'avait menée à ma perte. Je l'exilai loin de mon nouvel univers.
De fait, je n'avais plus peur d'être seule. Tout comme j'exilai le sourire et sa batterie de mièvreries polies, je m'exilai moi-même et ôtais toute fioriture qui me semblait inutile. Il ne restait plus grand-chose sinon le grand intérieur. Et j'avoue, je me plongeais dans ce grand intérieur, pas nécessairement avec volupté, mais par souci de cohérence. Cela était vrai et réel.
           Quelques amis étaient dans ma classe. Je les aimais beaucoup. Je les avais aimées beaucoup. Etais-je encore capable d'affection ? Je mis peu de temps à me rendre compte que la solitude me convenait et que les autres m'ennuyaient. Je me regardais évoluer, absolument Narcisse. Sciemment. Jusqu'à un certain point où je fus prise à mon propre piège. Mais il n'est pas encore temps. Je gardais de bonnes relations, sans aucun doute. Plus dures et plus exigeantes. Mais mes pairs n'en furent ni surpris ni irrités. Ils se prirent aussi au jeu. Dangereux. Mais ils surent s'arrêter à temps, bien heureusement et me laisser nager en eaux troubles à l'envi. Je traversai donc le premier trimestre dans une espèce d'euphorie silencieuse et froide. Mais palpable. J'étais enfin heureuse. Les anciens amis restèrent présents et aimants. Mais deux nouvelles têtes s'approchèrent, tout près. Des têtes brûlées. Proprement brûlées. Ils avaient déjà essuyé de nombreux auto-dafé et ne craignaient pas l'approche d'un autre feu fou. Encore une fois, ils s'y retrouvaient sans doute. Et malgré ma méfiance et ma douce solitude, ils m'attiraient aussi, irrésistiblement.
           D'abord elle, s'approcha. Nos chemins s'étaient déjà croisés et nous faisions chacune partie de l'histoire de l'autre. Moi, sans vraiment m'en rendre compte. Certainement sans vraiment le vouloir non plus puisque j'avais relégué ma vie d'avant aux oubliettes. Mais, il ne fait aucun doute que les enfants que nous avions été se reconnaissaient. Je l'occultais, envahie par mon nouveau moi enivrée. Elle savait et n'en fit jamais l'économie. Elle appelait l'enfant qu'elle avait connue et elle s'inscrivait dans mon histoire, sans que je le comprenne. Elle prenait racine loin derrière et acquis ainsi, moi aveugle comme une imbécile heureuse, ma confiance plus vite que n'importe qui l'aurait pu alors.
Becca, je préférais Beka, plus stricte et intrépide, douée d'une intuition hors norme, sut exactement s'adapter à ce que j'étais capable d'entendre des autres, surtout des inconnus. J'étais devenue l'être le moins adaptable qu'il fut donné de côtoyer (si tant est que je ne l'avais pas toujours été...)  pour beaucoup d'entre ceux que je fréquentais. J'imposais que l'on se calque sur ma cadence et mes possibles. J'avais cessé d'écouter les vagues des autres. Je ne demandais pas qu'on écoute les miennes. Mais si vous choisissiez de le faire, il vous fallait vous armer de patience. 
Je n'étais vraiment pas une fille sympa.

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