Dans une contrée lointaine, entourée d’eau de toutes parts, jusqu’à presque l’infini, vit l’ami Myridon. Les intimes l’appellent Mymy ou My quand le temps presse. Nous l’appellerons My pour plus de simplicité.
L’ami My est un de ces êtres que l’on voit peu, non qu’ils existent peu, mais surtout qu’ils n’éprouvent aucun plaisir précieux à se montrer. Contrairement à beaucoup d’autres, comme chacun sait. My fait partie d’une immense famille et les réunions grouillent de partout. C’en est ébouriffant. On se serrent les pattes dans tous les sens. On tient dix congénères en même temps. Dommage qu’il n’y ait pas autant de bouches que de pattes. On ne tient pas le crachoir à toutes les pattes, pas possible. Au final, un vrai imbroglio de salutations distinguées.
My et les siens sont des Mille-Pattes. Vous imaginez donc la scène. Bref, ces journées-là sont harassantes et ils en ressortent tous tout courbaturés de leur myriade de membres. Une bonne journée de repos s’impose le lendemain. Mais encore faut-il pouvoir.
Dans la famille de My, on est serviable, agréable. Cela fait partie intégrante de l’éducation. Les voyous n’ont pas leur place. On reste humble, ce qui n’empêche personne d’être brillant bien entendu. Et il y a bien autre chose aussi. De génération en génération et sans doute aujourd’hui est-ce marqué dans leurs gènes, les My et Compagnie maîtrisent un art du combat très particulier, invisible et subtil. Ils sont lucides, ils ne comptent pas sur leur faible et rougeaude constitution physique. Cela serait bien optimiste et même vraiment irréaliste. Très jeunes, ils apprennent à voir au-delà de l’évidence. Ils sont formés toute leur enfance à la production autonome de leur arme, et donc à la maîtrise total de leur corps et de leurs organes, ce qui se rapprocherait d’une forme de suprême conscience de soi, peut-être un peu dans notre imaginaire à l’aune d’une philosophie et d’un art martial des pays aux yeux d’amande. Dès l’adolescence, les voilà capables de terrasser des ennemis bien plus impressionnants qu’eux. Mais l’impression n’est qu’un miroir déformant.
A l’école publique (entouré de toutes les autres espèces), My a toujours été respecté. Déjà, My est un gars vraiment sympa. Il est amical, ne joue pas aux durs et joue sur l’humour. Sa deuxième arme, peut-être encore bien plus fatale. Les autres savent qu’ils auraient tôt fait de se retrouver au tapis si leur prenait l’envie de lui titiller les papattes. My a fait ses preuves et de toute façon, la famille a sa réputation. My jouit de ses retombées et reste le plus souvent tranquille. Ce qui ne signifie pas qu’il ne se mouille pas quand il le faut. Il se met dans une colère tout rouge quand il doit assister à une injustice. Il intervient alors. Et ce mille-pattes furibard vous remet tout cela en bon ordre en moins de deux. Il brandit son venin entêtant et comme personne n’a envie de se retrouver hallucinant délirant les pires cauchemars, on fait cesser les hostilités . N’allez pas croire que My se prend pour un super-héros. Juste qu’il sait ce que c’est que de ne pas être pris au sérieux. L’Histoire de son peuple regorge d’anecdotes en ce sens. Et son pouvoir en est une conjuration.
Dans cette existence paisible, My rencontre un sérieux problème: Bob. Bob est beaucoup plus gros, beaucoup plus grand, beaucoup plus fort que My. Cela n’est pas difficile. Il n’est par contre pas disons... stratégique. Les yeux un peu exorbités, les mains un peu partout, sous les jupes des filles aussi bien sûr, c’est un goujat. Malheureusement très costaud. Il ne se frotte pas trop à My en général. Il a intelligemment écouté la voix populaire et les rumeurs. Il sait qu’il pourrait peut-être se faire ridiculiser. Mais il n’a de cesse de chercher à vaincre My et ainsi marquer les esprits. Depuis quelques temps, Bob a trouvé sa méthode : il se cache habilement pour une fois (où a-t-il appris cela d’ailleurs ?) et se saisit à pleines mains de My (chose très aisée pour lui au vu de son grand gabarit et de celui bien plus modeste de My) pour s’en frotter les poils. My peut se tortiller et se mettre en boule mais les grosses paluches de Bob le maintiennent. C’est absolument écœurant. Cela va sans dire. My pourrait lui en vomir dessus s’il vomissait mais cela ne fait pas partie de ses compétences. Pourquoi me direz-vous cette étrange pratique de Bob ? Est-il seulement sadique ? Cela se pourrait étant donné le drôle de loustic. Mais non, Bob n’est pas un roi de la jungle. Son intention est bien plus intéressée. L’arme de My, son venin, vrille la tête et son jus intestinal vous empoisonne. Ce ne sont pas des méthodes de tous les jours. Ce sont de parfaites dissuasions accompagnées des mouvements martiaux depuis longtemps inculqués, comme nous l’avons bien expliqué ci-dessus. Ce que Bob sait et qui nourrit son espoir d’en finir avec My, c’est que lui, fier Lémurien devant l’Eternel ne craint pas l’arme fatale de My et des siens. Les figures compliquées des Mille Pattes ne l’impressionnent pas parce qu’il sait que sa secrète arme ne l’atteint pas. Alors, non Bob jusqu’à il y a peu ne se frottait pas à My mais maintenant qu’il a pris l’ascendant en réussissant à l’approcher et à l’attraper (particulièrement les lendemains de fête où My tout courbaturé ne peut pas manquer l’école, il ne peut plus faire sa célèbre Boule de feu, enroulé sur lui-même, pour échapper à Bob), il s’en badigeonne le poil de la tête aux pieds. My en a le tournis et ne peut qu’attendre patiemment la fin.
My a été prévenu par les Anciens. Il sait que les Bob peuvent leur devenir accrocs. Il n’est pas le premier auquel ce l'arrivé. Et il y a toujours un Bob qui ne peut pas s’empêcher. Une sorte de rite initiatique pour Mille-Patte écarlate. My accepte l’épreuve mais n’est pas un martyr dans l’âme et ces scènes répétées l’exaspèrent de plus en plus. Il n’est pas de ceux qui se résignent. Pourquoi le ferait-il d’ailleurs puisqu’il peut ne pas ? La résignation s’apprend. Les Mille-Pattes sont fabuleux, leur nom le dit. Alors pas question pour notre cher My d’attendre que Bob se lasse.
Quand ce dernier en a fini, My se voit laisser tomber comme une vieille chaussette de toute la hauteur de Bob qui s’abat sur le dos, inerte. Il n’est pas mort. Ce n’est pas un malaise. Il a les pupilles dilatées davantage qu’après le meilleur festin de grand-mère ou autre plaisir de la vie... Oui tout simplement, il plane. Bob est défoncé. Bob ne cauchemarde pas, lui. Il n’hallucine pas de monstres. Il prend son pied. My est sa drogue. Il a un sourire béat et stupide. My pourra alors, quand Bob est en plein trip, se venger. Mais il sait que sa vengeance doit être définitive. Il ne peut pas juste donner une leçon au toxico qui peut-être même l’oubliera derrière le souvenir enivrant de son voyage drogué. Il doit inverser le processus. Et il doit seul trouver la solution.
My entreprend des recherches. Bibliothèque et internet à l’appui. Il débusquera la formule libératrice. Tout cela n’est qu’une question de temps.
Plusieurs semaines encore passent et Bob semble de plus en plus accroc. Le cousin de My se retrouve lui aussi pris dans le tourbillon de défonces de Bob. Mais lui aussi devra seul trouver son issue. Ils savent que ce combat est un combat solitaire. Cependant, l’addiction de Bob devient envahissante et My commence peu à peu à perdre patience. Il est tenté plus d’une fois de lui tomber dessus une fois le gros Lémurien vautré sur le dos parfaitement vulnérable. Il lui donne à plusieurs reprises mille coups de pattes mais cela ne sert qu’à le soulager. Bob n’en retirera pas même une égratignure. My n’est pas naïf. Il sait que cela est inutile. Mais comme tout le monde, il doit évacuer la tension.
Bref, ne partons pas dans des élucubrations psychologiques inappropriées dans ce récit. Apres maintes heures de lecture et les yeux fatigués, My pense avoir trouvé sa solution : il existe loin de son île oui mais il ne s’agit que de s’organiser correctement, un fruit absolument répugnant dont l’odeur et le goût de pourriture, de pied sale, pire qu’un fromage français répugne tout être vivant sur cette planète. My n’arrive pas à dormir la nuit-là de sa découverte. C’est ainsi qu’il vit cette trouvaille. Il se relève à 4h du matin, il a tourné et retourné dans son lit. Il ouvre son ordinateur et tape, à la vitesse de l’éclair, vous imaginez à mille pattes... Et commande son fruit de la vengeance. Il a appris les codes de la carte bancaire de ses parents par coeur. Il s’en excusera après. Pour l’instant, la fin justifie les moyens. Il hésite une seconde une patte en l’air et appuie sur la touche Entrée avec détermination.
Un mois encore et le colis de My n’arrive pas. Il rêve de fruit puant tous les jours, toutes les nuits mais il continue de subir les frottements humiliants de Bob. Qui d’ailleurs maigrit à vue d’oeil et perd de son poil soyeux. Il a des cernes comme des valises. Les adultes commencent à s’inquiéter mais personne ne comprend. Pourtant... Pourtant...
Le 8 juin, le facteur sonne à la porte. Par un hasard divin, My est présent et seul à la maison. Pourquoi, comment ? Peu importe. Lui-même ne s’en souviendra pas. Il se jette sur le paquet et referme la porte au nez du facteur incrédule.
La boîte contient dix Durians. L’odeur est innommable malgré les précautions d’emballage qui ont été prises. My tient la clef de l’émancipation. La révolte va s’abattre sur Bob.
Le lendemain, alors que My gai comme un pinson se dirige vers les toilettes de l’ecole, il voit Bob et son sourire hagard s’approcher de lui. Il ne fait rien pour l’éviter bien entendu. Il a dissimulé des morceaux de Durian dans sa bouche et dans ses poches, entre ses pattes. Facile de faire illusion avec autant de mimines. A son habitude, Bob le saisit, dans son excitation de l’agite comme un hochet et se met à s’en frotter en poussant des gargarismes de bonheur. My lâche alors tout au long du pelage, ses morceaux d’infect fruit. Il a du mal lui-même à supporter la proximité de cette infection mais il faut ce qu’il faut et il est prêt à tout. Après avoir fait le tour de son corps, Bob se déleste de My et tombe au sol amorphe et souriant. My ne peut pas retourner en classe. Il est imprégné lui aussi de cette immonde odeur et il décide de rentrer chez lui ni vu ni connu. Il n’a pas peur de devoir s’expliquer par la suite. Il n’a pas le choix. A la maison, il se frotte intensément les pattes, les dents, la langue, jette ses vêtements à la poubelle et s’enduit d’un mélange puissamment odorant d’huiles et d’alcools que sa mère à confectionné pour ses vertus rajeunissante. Tout cela se superpose et le résultat n’est pas très heureux mais toujours moins pire qu’avant.
Il laisse un mot sur la table de la cuisine arguant qu’il est malade et qu’il ne quittera pas sa chambre avant le lendemain matin. Son stratagème est grossier mais il est éreinté.
Il s’éclipse rapidement le lendemain matin après une douche de 45 minutes à frotter encore et encore. Il a hâte de constater les dégâts et sa victoire.
En arrivant, il aperçoit un attroupement dans la cour. Il se dépêche d’aller voir lui aussi. Bob est là, hirsute, fou de rage, à se tortiller comme un singe et à l’insulter lui My son dealer préféré. Il a compris que My était à l’origine de cette insupportable couverture de détritus dont il se sent couvert depuis la veille. Ses parents l’ont obligé à se rendre en classe, sans concession, épuisés par leur fils à la dérive. Bob a supplié. Ils n’ont rien voulu entendre. Et le voilà seul au centre d’un cercle qui l’observe fou de dégoût se débattre avec lui-même. Les autres rient. Bob n’est pas ce qu’on pourrait appeler quelqu’un qu’on aime vraiment. Il y a pire que lui mais il reste antipathique.
L’arrivée de My suscite un nouvel accès de rage de Bob qui s’effondre finalement en pleurs au beau milieu de cent adolescents goguenards.Et il hurle : « Putain Myridon Mille-Pattes débile ! Ne m’approche plus jamais !
- Mais avec grand plaisir Grand Bob. Tout ce que tu voudras, répond My mielleux.
Et My exécute pour conclure son aventure une délicate révérence à celui qui l’aura fait grandir.
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