lundi 11 juin 2018

L'amour post-mortem

     Il y a ce mystère que je ne m'explique toujours pas de l'amour post-mortem. Je m'explique. Vous êtes à un enterrement, vous connaissiez bien ou pas le mort. Enfin vous, vous le connaissez toujours puisque vous n'êtes pas mort. C'est lui qui ne connaît plus rien. C'est justement avec ça qu'il faut jongler. Alors on dit qu'on connaissait, poliment, mais c'est pour s'aider à accepter que l'autre ne connaît plus que dalle. Que dalle ! Walou ! Bref, vous êtes à la cérémonie, peu importe sous quelle forme, cela n'impacte pas mon propos. Vous écoutez les conversations. Vous, vous avez opté pour le silence. Admettons. Il n'y a pas grand-chose à dire d'intelligent dans ces cas-là. Ce n'est que mon avis. Au vu de ce qui sort des bouches baveuses en ces moments-là, je crois fermement que le silence est de loin la solution la plus sûre de compatir et soutenir. Ca n'engage que moi. Pleurer pourquoi pas ? Au contraire, c'est dans le ton. Ca libère. Ca soulage. Et ça fait avancer. Donc, vous pleurez si vous voulez et vous écoutez tous ces mots qui chuchotent et s'entremêlent doucement. Tout est plus doux, plus bas, plus lent. Tout est cotonneux. Les éclats de sanglot se font rare de nos jours. Ici bas bien sûr. Les autres latitudes ont d'autres voix. Et c'est alors que vous, dans votre silence, pas nécessairement prostré, vous parvenez à vous extirper de cette situation délicate et à observer le monde qui vous entoure. Vous sortez de vous-même, genre fantôme, âme qui sort de son corps, vous voyez bien ce que je veux dire. Et vous écoutez attentivement. 
Ce jour-là, comme les suivants d'ailleurs, vous entendez le monde louer le mort, l'élever aux nues, l'auréoler. Vous entendez même les plus acariâtres s'attendrir entre leurs larmes. Encore une fois, les larmes sont les plus dignes de tout cela, qu'on ne se méprenne pas. Ils avouent combien ils aimaient cette femme, cet homme ; combien il était bon, combien il était brillant (plus honnête, ça n'implique pas d'apprécier), combien elle était belle, combien elle était généreuse, suivant bien sûr à la lettre les préjugés sexistes. La pensée est en berne, ces jours-là. Le prêt-à-parler s'impose en maître. C'est humain. Quand vous avez réussi votre extraction fantomatique, vous enragez. Mais surtout taisez-vous. Ou vous serez marqué au fer rouge de l'hérésie. Vous entendez donc ces propos encensants. Et vous tombez des nues vous. Vous croisez le mort dans son élévation et retombez le cul par terre. Voilà l'amour post-mortem. Le mort, la morte sont lavés de tout soupçon et de tout péché. J'ironise. Mais tout de même. N'avez-vous jamais vécu ça ? Pour peu que vous ne soyez pas si proche de la victime de la vie ou pas si attaché.
L'on se serre les coudes et l'on conjure la mort, la personne pour qui l'on est là n'a finalement pas tellement d'importance. Sauf pour certains, je ne suis pas cynique à ce point-là, mais finalement très peu si l'on est honnête. Ceux qui vraiment pleurent le/la mort(e) se comptent sur les doigts d'une ou deux mains. C'est selon. Les autres pleurent la mort. Ils pleurent cette fatalité insupportable. Ils pleurent sur leur propre sort. Rien de fou ni de condamnable là-dedans. C'est indiscutablement terrible. Mais la plupart du temps, la plupart d'entre nous n'y pensons pas. Je mets à part les beaux fous qui vivent avec elle souvent chaque jour de leur vie. Je ne parle que d'eux mais plein d'autres étiquetés non-fous traversent la même. Toujours est-il que les gens ancrés dans la vie et le désir se voient fouetter en pleine tête par la mort ces jours-là. Ils savent s'en protéger le reste du temps. C'est une belle performance. Chacun devrait y avoir droit mais la vie est ainsi faite. Rebref, ils pleurent la mort et sa tyrannie. Tout le monde est désespéré de ce fait, pris au piège dans cette inéluctabilité. Mais personne, vraiment personne, je ne mets cette fois pas nuances, n'admet pleurer sur sa condition d'animal impuissant. Alors vous qui êtes là à regarder les autres, vous priez pour revenir en vous-même et faire comme tout le monde. Parce que cela vous enrage. Cela vous écœure peut-être, pour l'hypocrisie de certains. Quoique l'hypocrisie telle qu'on la nomme aujourd'hui soit le terreau d'une paix sociale. Cela vous désespère. 
Fermez les écoutilles. Et ne recommencez plus jamais ca. Enfin quelle idée ! remplissez-vous d'amour post-mortem vous aussi. La mort reculera d'un pas. Sans mentir, juré craché.






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