On a été une petite
tellement longtemps,
une qui ne sait pas
encore
une qui comprendra
plus tard,
une je t’expliquerai
après,
une tu verras
quand tu seras grande.
Au bout d’un certain temps,
on ne le dit plus.
Mais c’est automatique,
insidieusement
et sans aucune malveillance,
On devient en bon petit dernier de fratrie,
celui qui en sait le moins,
qui doit apprendre
encore.
Et on se sent à la traîne,
on prend patience
ou bouffe ses doigts
on jure qu’on prendra sa revanche
parce que
tous les jours que Dieu fait,
on court comme
dératé
pour rattraper le convoi,
pourtant pas si rapide
mais parti avec telle
avance !
Il est irrattrapable
malgré les encouragements.
Est-ce qu’ils y croient vraiment ?
Est-ce que les têtes de peloton
croient vraiment
que bonne dernière,
on remontera le retard ?
Et ils ont furieusement l’air d’y croire
oui.
Et tout de même,
on nous maintient en place de
last
but not least
ne t’inquiète pas.
On n’y comprend rien.
Sauf que,
des années à se sentir lambine
et à avaler tous les savoirs possibles.
On se retrouve en tête de liste
d’un coup
sans avoir rien prévu.
Alors, on garde
quand même
cette idée fixe de
moins savoir
pas comprendre
être pas finie
(ce qui est une réalité oui oui mais encore moins que les autres)
moins évoluée
moins déclenchée
et tout ce qu’on veut
que les autres.
La réalité a beau le démentir
chaque jour
ou presque,
on a enregistré
on doit y trouver un
bénéfice
comme disent les psys…
Ce qui est sûr,
C’est qu’on choisit un métier où
avoir raison
amasser le savoir
sont
à leur tour
pour une fois
suppléants loin derrière.
On vire de bord vers un lieu où il est possible et même souhaité d’interroger encore et encore tous les savoirs, où cela n’est un secret pour personne, où l’on peut assurer qu’on a toujours des doutes et que cela est tout à notre honneur. On pourrait penser provocation et relativisme effréné. Non non non ! Vous finirez par ne plus être bienveillant si vous vous cramponnez à vos théories. Peut-être pas dit comme ça mais à peu près. Quel soulagement de ne plus avoir honte d’hésiter et mettre en balance en permanence. Mutation soudaine d’un vilain défaut et d’une tare, cataloguée ainsi en tout cas, en solide base de progression et professionnalisme. Sans doute que c’est ainsi qu’on choisit bien son travail, quand il nous réconcilie et exploite nos failles ou ce qu’on croyait tel.
Ce qui n’empêche en rien de devoir savoir et choisir. Au contraire, Toutes ces contradictions sont à lier et chacun à sa manière, c’est une mission possible.
Tout ça pour en arriver où ? Faire face au handicap
C’est-à-dire ?
Concrètement ?
Les corps tordus
Les psychismes cosmiques
Les membres morts
Les neurones esseulés
Les organes capricieux
Les yeux vides
Les silences hébétés.
Oh ça doit être difficile, vous êtes courageuse !
Oh vous savez non
Et puis on ne sait pas trop quoi rajouter.
Parce que pourquoi n’est pas si difficile ? Est-ce vrai d’ailleurs ?
Oui, ce n’est pas si difficile comparé aux affres de l’angoisse et de la mélancolie.
Mais non ce n’est pas facile.
Alors, on répond
Que de toute façon toutes ces choses-là (on ne sait pas trop quoi mais on en parle comme si tout le monde avait compris la référence), on les a en nous et que ce n’est pas une violence qu’on se fait de les regarder en face tous les jours.
Bien présomptueux et pas exempt de vérité.
Oui, on a en soi ces choses-là,
La mort
La douleur
L’anormal
L’inacceptable
L’insupportable
L’inappartenance
L’insensé
L’innommable.
Comme tout le monde.
Mais ils se dressent sur notre route
peut-être
plus souvent
que pour d’autres.
Et hormis les regarder et leur donner une place,
on n’a pas eu de choix.
L’origine de la tare,
la défaillance incurable.
Et on se dit que
là
on l’utilise sans souffrir.
La mutation qu’on expliquait
Ii y a quelques lignes.
Mais ce n’est pas tout.
La violence est bien là
la mort rôde,
on croit qu’elle ne fait plus autant d’effet.
Oui mais elle s’y prend autrement pour agir.
Elle ne surgit pas,
on a l’habitude,
on a appris.
Elle ne frappe pas,
on est prêt à se défendre.
Elle n’asphyxie pas,
on est celle qui doit tenir le coup.
Mais elle ronge les nerfs,
elle grignote l’optimisme
elle atrophie la pensée.
Tout doucement
doucement
tout doux.
Un jour, on se surprend
à ne même plus avoir envie de réfléchir,
alors qu’on ne vivait que pour ça.
On n’a pas peur,
le cœur ne s’emballe pas,
on se dit que c’est bien confortable
de ne pas avoir peur.
Mais le confort, c’’est exactement ce qu’on dont on ne disposera
jamais
face aux situations de handicap.
Jamais de confort,
et c’est vrai,
on en a toujours eu l’habitude.
Pas pauvre petit poussin malheureux,
ne geignons pas.
C’est ainsi pour
la plupart
du monde.
On sautille
on gigote
on tourbillonne
pour échapper
au typhon
sous-terrain
qui pourrait
nous avaler.
On n’est jamais immobile,
c’est vrai.
C’est ça notre force ici même.
C’est aussi notre béance.
Chaque jour,
chaque matin,
repasser l’habit
inébranlable.
Obligatoire.
Même si on voudrait mieux,
sans protection.
Peut-être avec l’âge…