je suis passé devant chez ma sœur hier soir, il le fallait. C'est irrépressible. Tous les 28, je fais un tour en bas de sa fenêtre et je vérifie. Bien sûr que non, elle ne le sait pas ! Vous alliez me demander cela. Je ne suis pas stupide tout de même.
J'allais vous poser une tout autre question : irrépressible, c'est à dire ?
Irrésistible, incontrôlable. Tout ça.
Et?
Et... je sens en fait que la sœur est en danger. Je suis pris à la poitrine d'une angoisse tyrannique. C'est comme une injonction à laquelle je ne peux pas me soustraire. Je dois la protéger, je dois vérifier qu'elle n'est pas en danger.
Que pourrait-il se passer ?
Je n'en sais rien, sans doute rien en réalité.
Nous ne parlons pas de la réalité palpable. Qu'imaginez-vous qu'il puisse se passer ?
Je ne l'imagine pas, c'est bien plus que cela, j'en rêve.
Mmmh.
Tous les 26 et 27 du mois, tous les 28 aussi. Comme si on me prévenait. J'en rêve aussi quand Anna m'a appelé en silence comme elle le fait quand elle sent qu'elle va sombrer. Franchement, je trouve cela ridicule et j'ai mis un sacré temps à admettre ce qui se passait. Je n'y crois pas à ces choses-là moi, vous le savez bien.
Vous ne "croyez" pas aux rêves ? Cela me semble une position compliquée à tenir.
Mais non ! Pas aux rêves, arrêtez de me provoquer...
Arrêter de vous provoquer ? Sûrement pas.
Arrêtez de sourire comme ça, comme si vous aviez tout compris.
Je n'ai pas tout compris, je souris parce que je vous agace et que cela vous permet de vous exprimer. Je trouve cela ironique, voilà tout.
Vous avez raison. Vous êtes très agaçant, et je dois vous en être gré.
A vous de voir.
Je vous en suis gré. Ne nous étendons pas sur ce sujet.
Bien, je vous suis.
Comme si vous étiez docile. Vous êtes la personne la plus indocile que je connaisse. Avec ce calme exaspérant et cette souplesse de reptile.
Je le prends comme un compliment.
A vous de voir.
Ils rient.
Un silence.
Puis.
je disais avant que vous me provoquiez donc, que je ne crois pas aux prémonitions et ces superstitions de bonne femme. Mais je dois bien constater que cette récurrence est troublante. Je crois que n'admettrai dans pas si longtemps que cela a même un sens.
Oui, un sens ?
Oui un sens.
Arrêtez donc de me provoquer.
Sûrement pas.
Bien alors poursuivez.
Je suis pris dans la nasse de mon devoir fraternel.
Votre devoir fraternel.
Bien sûr mon devoir fraternel. Ma sœur et moi avons grandi l'un à côté de l'autre. J'en parle mal ou du moins avec beaucoup de colère aujourd'hui. Mais elle est l'amour de ma vie. Elle m'a tout appris, elle était toujours là. Ça fait idiot de dire ça comme ça et je ne le fais qu'avec vous en ce moment. Je n'en parle pas d'habitude sauf pour m'en plaindre. Je sais qu'en approfondissant le sujet, je deviens tout de suite sentimental et ça n'est pas possible. C'est indécent et ridicule. Je m'en veux tellement après que j'ai honte pendant des jours et que j'en fais voir de toutes les couleurs à celui qui m'a surpris dans ce moment de faiblesse. Je lui fais payer son voyeurisme. Je sais que je me suis tout seul enfoncé dans ma volubilité et que je n'ai qu'à me prendre qu'à moi-même mais je ne peux pas m'empêcher de haïr quelques jours celui qui m'a découvert. Jusqu'à ce qu'il ait payé. Non, ce n'est pas charitable, ni même bienveillant ou honnête. Mais je ne suis pas quelqu'un d'honnête. Je le sais et ce n'est pas ce qui me dérange le plus dans mon existence actuelle. Cela viendra peut-être plus tard. Pour l'instant, je veux me débarrasser de cette sœur dévorante.
Vous avez dit tout à l'heure que c'était l'amour de votre vie. Je ne vous ai jamais entendu parler de cette manière. Pourriez-vous m'en dire davantage ou est-ce encore trop tôt ?
Je veux bien essayer... Par où commencer... Je ne peux pas commencer par le début, la petite enfance. Je ne peux pas vous dire pour quelles raisons.
Pas de problème. Faites comme cela vous vient.
Si ça vient...
Nous avions elle et moi respectivement 15 et 12 ans. J'étais un enfant chétif. A 12 ans, en sixième, à la fin de cette première année de collège, je n'étais pas mieux intégré que le jour de la rentrée. J'avais passé l'école primaire à contrôler mon entourage, à donner des ordres. Les autres se soumettaient à mon autorité. Je crois que je n'avais pas trouvé d'autres moyens d'être en relation avec eux. Cela me convenait. J'étais relativement inconsistant en famille. On se tournait vers ma sœur et peu vers moi. Je ne dis pas que c'était une situation facile, loin de là. Mais c'était compensé par l'extrême attention d'Anna à mon égard. Et je sentais bien qu'elle était sincère. Elle ne se faisait pas pardonner de cette place. Elle m'aimait de tout son cœur, j'avais le sentiment d'être son trésor. J'ai mis toute mon énergie à tenir compte de cela et non de la distance de mes parents. Ce que je prenais pour de la distance. Je me trompais mais cela en avait tant les apparences pour l'enfant que j'étais ! Elle a été toutes ces années le centre de mon univers. Je serai mort sans elle. Mort de soif. Elle a été mon totem... Je reviens à mon histoire. Le passage au collège a été une torture. J'ai été désigné très rapidement comme bouc-émissaire officiel . Elle était dans le même établissement que moi, en classe de troisième. Elle a essayé de m'aider, elle m'a donné des techniques. Je ne suis parvenue à rien... Et puis, au mois de mai, un fille de ma classe, celle qui avait le rôle de peste et le tenait à merveille, s'approcha de moi. J'étais encore plus soumis avec les filles qu'avec les garçons. Une vraie poule mouillée. Je ne pouvais plus rien répondre quand elles m'adressaient la parole, qu'elles m'insultaient pour me provoquer et voir jusqu'où je supporterai l'humiliation. Une fois qu'on a le pied dedans, on ne se sort pas de l'humiliation. C'était bien trop tard. Je baissais les yeux et j'attendais qu'elles se lassent. Et elles se lassaient enfant mon inertie. Un jour, Anna a assisté à une de ces scènes qui en général se déroulaient dans un coin où je m'étais enfoui tranquillement. C'était un hasard. Du moins je le crois. La peste en question, Jeanne Carotte, je ne peux pas parler d'elle autrement, nous verrons plus tard pour m'avancer sur ce terrain-là. Jeanne Carotte a commencé à me marcher sur les pieds, à m'écraser et plus en plus fort les orteils, pour voir, comme les innombrables précédentes fois. Elle souriait. Ses amies, qui se disaient telles, formaient un cercle derrière elle. Elles chantaient je ne sais plus quoi. Elles fourraient des insultes dans les paroles à la place des originales. Sans couilles, pédé, etc à merci. Le ton était acerbe. J'étais lové au fond du coin, contre mes murs protecteurs. J'ai entendu un pas. La honte suprême. Un spectateur. J'ai levé les yeux. J'ai aperçu Anna, bouche bée, debout derrière le groupe de filles enivrées par leur cruauté. Elle retenait ses larmes mais je les ai vues briller, tout de suite, Anna ne pleurait pas, jamais. Elle crispait les mâchoires régulièrement, je voyais les os apparaître sous sa fine peau de rousse. Je l'ai suppliée de s'en aller et de ne pas intervenir. Je savais que c'était peine perdue. Elle a grogné quelque chose que je n'ai toujours pas compris. Les filles se sont retournées. Elles ont blêmi. Elles ont voulu s'enfuir. Elles ont vite déchanté et se sont immobilisées dos à moi. Jeanne Carotte continuait, puis elle a vu que mon regard s'était fixé et pas dans le vide pour une fois. "Alors tu te réveilles la fiotte ?" Elle s'est retournée et elle a pris la mesure de la situation. Elle ne s'est pas démontée. Elle a invectivée Anna qui s'est avancée toujours aussi régulièrement. C'est sa lenteur qui a fait le plus d'effet sur ses adversaires. Jeanne Carotte a frémi puis elle s'est maîtrisée et a insulté ma sœur. Anna s'est préparé à lui cracher dessus. L'autre a joué la petite bourgeoise choquée. Anna a tourné et retourné son mollard dans sa bouche. Elle a ordonné à l'autre de s'allonger sur le sol. JC lui a ri au nez. Mais elle s'est vite arrêtée. Anna lui a posé le doigt sur le front et l'a poussé, les yeux fulminants. L'autre s'est mise à genoux. Pas plus. Anna a claqué la langue et à recommencé le coup du doigt. Les autres filles avait fait une haie d'honneur à Anna, pour surtout lui échapper. JC a soufflé et s'est assise. La paume d'Anna s'est enfoncée dans ses cheveux et elle l'a forcée à s'allonger à ses pieds. Ensuite elle lui a craché dans le cou nu sous son chignon. La bave et le reste ont coulé le long des oreilles des JC qui enrageait mais ne pouvait absolument pas lui résister. Anna a dit aux filles de partir, oust ! Sauf à JC élevant laquelle elle s'est assise et pendant 30 minutes, un peu moins peut être, elle lui a parlé et lui a interdit d'ouvrir la bouche. Elle m'a jeté un coup d'œil en s'asseyant et m'a enjoint de m'en aller et de la laisser s'occuper de ça. J'ai épié quelques minutes et j'ai attendu Anna quelques mètres plus loin jusqu'à ce qu'elle revienne dans la cour. Je me suis assis sur un banc. J'étais abasourdi. Je connaissais la réputation de ma sœur, je ne l'avais jamais vu à l'œuvre. J'ai juré ce jour là sur ce banc que je lui revaudrait ça ma vie durant, aussi loin que je le pourrai.
Vous continuerez la semaine prochaine ?
Au revoir Docteur
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