jeudi 27 mars 2014

La maison de Sugar Beach, Helen Cooper

Helen Cooper se lance dans un témoignage personnel et engagé. Non pas sur un plan politique puisqu’elle tente de garder le plus de recul possible et d’adopter une vision distanciée des événements qui ont marqué son parcours. Il ne semble pas question pour elle d’être objective à tout prix. A mon sens, c’est une grande qualité de ce livre. Le désir d’objectivité aurait brisé toute la valeur littéraire de l’ouvrage.
C’est le risque connu et reconnu de la littérature engagée comme on l’appelle. Je ne dirais pas qu’Helen Cooper s’inscrit dans ce style littéraire, elle jongle habilement entre les catégories, en écrivant de l’intérieur. J’avoue que j’ai eu peur en prenant connaissance du contenu de La maison de Sugar Beach. J’ai eu peur qu’il s’agisse une fois encore d’un de ces récits de vie où s’étalent des événements traumatisants sans plus de réflexion. Cette orgie de victimes et cette fascination du choc et de ses retentissements ne sont pas de la partie ici. Le récit est plus vrai, plus travaillé que cela.

            Plusieurs éléments m’ont particulièrement intéressée et touchée. Tout d’abord, l’Histoire du Liberia, qui m’était complètement inconnue, hormis les guerres civiles à répétition des dernières années. Helen Cooper est parvenue à raconter cette Histoire. Elle n’expose pas ni n’explique. Elle raconte, de son point de vue d’enfant et de jeune puis d’adulte meurtrie, l’Histoire de son pays. C’est une chronologie vivante, animée, remplie, pas une simple ligne horizontale parsemée de dates anniversaires, éclaboussée de temps en temps par l’expérience sèche du narrateur. Et elle aurait pu tomber dans cet écueil puisqu’elle retrace une grande partie de l’Histoire du Liberia sur un mode réaliste.
Cette qualité d’écriture qui mêle Histoire et témoignage m’a fait beaucoup pensée aux écrits des auteurs de la négritude. Un témoignage de l’Histoire mis en scène et en corps. Charnel et émouvant, plein d’humour et de souffrance. J’ignore si Helen Cooper a été influencé par ces écrivains et leurs manières, si spécifiques. Et ce n’est pas le thème de l’Afrique et de l’esclavage qui a suscité ce rapprochement. C’est davantage l’utilisation de la langue et la forme hybride du récit. Un métissage, un entrelacs de cultures mais aussi de langues, de domaines de réflexion et de création.
            Sur le fond, cet ouvrage invite à s’interroger sur les règles de l’identité, de l’appartenance à une terre, à une nation, sur la responsabilité de ce qui nous blesse en tant qu’humains. Il donne à voir également combien nous sommes modelés par notre histoire et l’Histoire qui finissent par être inextricables.

            Pour finir, je parlerai du style d’Helen Cooper. Elle n’est pas dans un travail de justesse du mot et de son sens. Ou alors j’ai été trop sensible à son travail sur les sonorités, le rythme, la personnalité de chaque langue et de ses variantes. La langue semble définir  chaque lieu et chaque personnage, une ambiance. Les phrases et leur chant ou cri ont un poids et un corps. La parole, l’oralité. Littérature de la modernité certes, et littérature de la négritude. Je pense ici à Patrick Chamoiseau. La narratrice se fait caméléon pour faire entendre la diversité et la confusion, chaos et incroyable richesse. Et chose plus rare, la traduction permet d’avoir accès à toutes ces subtilités de voix et langues.

            Lisez ce beau livre, où vous rirez, vous émouvrez, vous mettrez en colère, et vous assagirez au gré des tumultes de la vie qui nous est contée.


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