mardi 25 mars 2014

"Pas touche" à la poubelle

Pas touche, je ne m’occupe que de tes mots et
Toutes choses visibles
Ou audibles
Mais non palpables.
Tu as au-dessus des sept ans réglementaires ?
L’âge de raison est acquis ?
Alors pas touche mon pote !
Je ne suis pas ton ami,
Je suis ton psy.
Mais vous venez de dire mon pote !?
Façon de parler, c’est pour te mettre à distance et te montrer que
précisément
je ne le suis pas.
C’est normal si je trouve ça tordu ?
C’est l’humain qui est comme ça,
tout est tordu et retors
si on y regarde de plus près.
Ok, si vous le dites, je ne suis pas convaincu mais bon…
Bref, le seul critère, sept ans passés.
Ah bon, ben oui, sept ans passés, j’espère que ça se voit tout de même.
Ca se voit, je voulais que vous en preniez conscience. Voilà qui est fait.

On garde en tête que les enfants d’accord,
Droit de contact.
Ils ont toujours un traitement spécifique
A juste et mauvais titre.
Pourquoi ?
Eh bien parce que, et tous les autres ?
Je n’ai pas appris à ne pas m’approcher d’un patient davantage que d’une poignée de main. Personne n’a été aussi catégorique voire carrément obtus pour m’enseigner cela. Il y en a qui se refusent à plus que la politesse et d’autres non. Chacun se meut et communique avec ce qu’il est, jusque là rien que de très banal. Je me souviens précisément d’une règle tout de même de prudence quant au contact physique, règle qui m’a tout de suite beaucoup plu. C’était parfait pour moi. Ne rentre pas dans ma sphère palpitante, circulante et sanguinolente. Je partage le reste, la tête et son âme ; mais certainement pas cela au travail.
On a tout bien prévu.
On s’apprête à entrer en poste.
On a la tête bien pleine.
On aime son travail.
On suit les principes de base.
Il faut bien commencer par quelque chose.
On sait que ce n’est pas parfait.
On sait qu’on prend ce qu’on nous a transmis et qu’on fera notre sauce plus tard.
Aujourd’hui, j’ai oublié de quoi j’étais sûre ou du moins, que je pensais malléable mais non destituable.
En fait, que croyais-je ferme ? que pensais-je juste ? Qu’avais-je assimilé d’autrui ? qu’avais-je crée moi-même ?
Je n’en sais rien. Ce retour sur les règles posées, reposées, soulevées, transformées est l’occasion d’un solide conflit des forces en présence dans mon cerveau. Je suis tiraillée de toutes parts. J’ignore comment éclaircir le paysage et si même je le dois. Au moins identifier les belligérants, pas forcément ennemis d’ailleurs.

Règle presque n° 1 : on ne se touche pas c’est-à-dire pas d’affection marquée par un geste physique.
Explosion en plein vol de la règle presque primordiale :
pas de langage ou très peu, rudimentaire et pas celui des émotions, ô non de loin pas ;
pas de moyen de penser les mouvements internes ;
des troubles à allure autistiques et être avec l’autre est un éternel combat (vous me direz que cela nous concerne tous. En effet. Il est question de degré ici. Je m’accommode de l’autre à peu près, je ne suis pas obligée jour après jour de recommencer à apprivoiser mon semblable comme si nous étions deux bêtes sauvages.) ;
Pas de bien-être ou très peu, le plaisir est un luxe ;
Me voilà sur terre mais je ne dois pas trop exister surtout !
Et me voilà moi aussi mais je ne peux pas une seconde maintenir l’éloignement de rigueur.
Parce que quelle rigueur ? La mienne ? Qu’y comprennent-ils tous à ma rigueur ? Elle n’a plus de sens que pour moi. Peut-être que je force le trait. Tout n’est pas faux pour autant.
Je reste loin et distante ?
Oui, certains s’en verront rassurés, on les a trop papouillés comme des poupons même devenus adultes, sans doute pour amadouer le handicap. Les « Valides » s’en voient rassurés. Je touche et il ne se passe rien. Les fantasmes cachés, souvent honteusement alors qu’ils nous animent tous, de contagion et mort subite ou saleté incurable, s’apaisent. Pour le moment.
Non pour tous ceux, et oui ils sont nombreux, qu’on a posés dans un coin ou même doucement mis dehors. Personne n’est accusé ici, chacun fait avec ce qu’il a et j’affirme croire que rares sont les fois où des parents ne font pas tout ce qu’ils peuvent pour leur enfant. Ils ne peuvent pas toujours beaucoup ni de manière bienveillante. Cela ne veut en aucun cas dire qu’ils n’ont pas essayé. Et donc, ces adultes difformes pour certains, ralentis dans toute action ou pensée, souvent immensément fatigués (de bouger ou de vivre ? la question mérite d’être posée), incompréhensibles mais désireux et êtres de relation, il faudrait rester à distance et qu’ils en comprennent la portée protectrice et cadrante ?
On n’accepte pas la même chose de tout le monde, certains effractent et c’est à signifier.
Mais celle-ci et celui-là qui n’ont pas de foyer, pas de famille, pas de repère, nul havre de paix, qui font face au refus et au silence de ceux qu’ils aiment, les repousser et leur serrer la main et c’est tout ? En rester là ?
Se reculer quand ils s’avancent de trop ?
Se détourner quand une petite tape de bienvenue chez eux dans le dos ?
Eviter ? Louvoyer ?
Sans dépasser ses propres limites, ne puis-je pas accepter cette parole ?
Et celui-ci qui fuit depuis un an et demi que nous nous connaissons et me dit à peine bonjour, le repousser et le détourner quand il me presse chaleureusement et rapidement le bras, enfin ?
Et lui dire que c’est se serrer la main et pas davantage ?
Parce que quoi ?
Parce que c’est ce que font les adultes ?
Parce que c’est la règle sociale ?
Je n’appliquerai pas à la lettre la règle sociale, pour des citoyens que la société ignore le plus souvent ou rejette au pire. Ces gens-là luttent tous les jours dans le bus, dans la rue, dans les transports pour rester calme face aux regards effrayés, dégoûtés (ne vous récriez pas), désapprobateurs, aux rires franchement moqueurs,  simplement gênés ou méprisants. Ils n’existent pas, ils ne sont pas des vrais gens pour la plupart des autres « normaux ». Ne nous voilons pas la face. Ils sont cachés et n’ont pas le droit d’être beaux. Leur sexualité fait faire les gros yeux. Alors ils s’habillent mal, se cachent et restent enfantins oui parce qu’ils ont parfaitement compris et sentis qu’ils n’étaient pas les égaux de leurs pairs, parce que c’est sans doute ainsi qu’ils font le plus plaisir aux « Valides » et se rapprochent d’eux. Ils savent qu’ils n’ont aucun pouvoir, à peine celui d’un sujet en-dehors de l’enceinte médico-sociale, la plus respectueuse possible espérons-le.
Mais en tout cas, celui qui après de longs mois, esquisse un geste d’affection calme et adapté, je le reçois avec une grande joie et je retourne un vrai sourire.
Celui ou celle qui pleure et pleure, n’en voit pas le bout et n’ouvre plus la bouche, ni pour parler ni pour manger, la repousser quand elle reprend enfin goût à la vie et qu’elle se blottit dans mes bras ?
La question se pose encore et encore mais non, je ne repousserai pas cet adulte handicapé par un tout petit vocabulaire et qui ne sait pas comment dire qu’il ou elle est revenu parmi les vivants, qu’il ou elle peut-être nous remercie. C’est un choix que je fais et que j’assume. Il ou elle quelques semaines plus tard, répétera à l’envi, Merci Clémence Merci Clémence Merci Clémence et encore et encore. Tout comme je ne lui dirai pas de cesser ces mercis. Il ou elle les offre après chaque séance désormais, il ou elle n’a plus besoin de se blottir, il ou elle peut manipuler son merci et l’adresser.
Que ce serait-il passer si nous avions tous professionnels mis un point d’honneur à ne pas recevoir dans nos bras sa douleur peu à peu transformée en affection ?
Personne n’en sait rien, bien évidemment. Chacun pense ce qu’il veut.

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