Elle
traverse toute la ville. Non elle ne traverse pas toute la ville,
elle ne le peut pas, elle a bien trop de tentacules aux arcanes
cryptés jusqu'au cou. Elle a l'impression de traverser toute la
ville et elle aime ça. Elle aime à se le dire et se croire
randonneuse de minuit. Elle marche, elle avance, comme si elle
avançait dans la vie, comme si elle avançait ses pions aussi. Comme
si elle avait un certain pouvoir. Il se passe quelque chose. Il y a
un événement. Ce n'est pas souvent qu'elle sent ce quelque chose.
Est-ce déjà même arrivé ? A Noël, aux anniversaires. Les
dates clés. Pas davantage, pas de son propre fait. Elle ne se sent
jamais l'instigatrice de ces Evénements. Là, c'est bien elle qui
marche, qui avance vers les découvertes qu'elle veut faire. Elle se
prend à rêver qu'elle est une grande. Une importante personne dont
on se souviendra.
Elle
pense bien sûr en premier lieu à Christophe Colomb. Jamais, c'est
certain, Christophe n'a été patate. Même patate-ninja. Mais il
s'appelle quand même Colomb. Elle s'est toujours interrogée sur
cela. Le grand explorateur, le grand combattant a le nom de l'oiseau
blanc de la paix. Il s'appelle comme le plus inoffensif des oiseaux
du monde, il est nommé comme le plus doux et le plus insipide aussi
peut-être des volatiles. Pourtant il tient sans doute davantage dans
la réalité du piranha ou du serpent à sonnettes. Elle a toujours
buté sur ce nom, Patate. Le Christ et la colombe. Ca donne envie de
chialer de niaiserie. Alors qu'il a fait mourir des dizaines
d'hommes, qu'il y a risqué sa peau, avant et après, se mettant à
dos des reines et princes et tout le tralala. Elle a toujours trouvé
le sort bien ironique... Sauf qu'elle, elle s'appelle bien Patate et
que cela lui va bien. Elle ne sait pas encore qu'elle deviendra
ninja.
Elle
part,
comme
le Christ colombus,
pas
encore crucifié,
elle
l'est déjà,
elle,
sans
crever pour autant,
pute
de vie,
à
la recherche d'une autre vie.
Ce
monde,
son
univers ne lui
suffit
pas.
Pas
qu'elle soit si exigeante.
Pas
qu'elle soit carnassière.
Comme
Christophus,
ou
peut-être ignorance.
Encore.
Peut-être
qu'elle n'est pas seulement
matière
à purée et que ses jambes
qui
marchent
qui
marchent
le
savent mieux
qu'elle.
Peut-être
que le vieux Colombe
deviendra
un égal.
Mais
tout cela,
elle
ne l'a pas en
tête.
Ni
nul par ailleurs.
Elle
avance
et
pour l'instant,
elle
est heureuse
de
n'être pas comme il faut,
d'être
seule,
libre,
vers
l'inconnu.
La
double vie comme là.
Après
avoir marché 53 minutes, elle arrive à bon port. Le grand immeuble
laid gris, comme tant d'autres de Piment. Elle a fait ses recherches
avant, elle savait tout avant d'entreprendre son expédition. Patate
est une maligne sous ses airs de lourdaude. Elle s'arrête en bas de
la grande tour. Elle a mis un jean noir, des baskets noires, un
manteau noir. Finalement pas si loin de la tenue habituelle. Elle a
une capuche. Elle ne la chausse pas d'habitude mais elle adore la
mettre. Elle se sent protégée. Elle sent qu'elle risque moins,
beaucoup moins. Elle attend en bas de l'immeuble, elle regarde autour
d'elle. Ce n'est pas comme chez elle. Elle habite un petit quartier
cossu. Ici, ce n'est pas cossu. C'est triste et gris. C'est dur. Ce
n'est pas la mort mais c'est la bagarre pour la vie. Cela tourne dans
l'air. Elle sent qu'ici, il faut se battre pour être quelqu'un.
Chez elle aussi, Patate ne se laissera jamais dire le contraire. Mais
pas de la me^me manière. Chez elle, elle existe. Mal et difforme
mais elle existe. Une handicapée et puis voilà. C'est une place
quand même. Ici, Piment, elle le comprend d'emblée, doit lutter
pour exister. Juste pour exister. Elle se sent bien ici Patate. Elle
sent que cette lutte-là ne lui est pas complètement inconnue, elle
y retrouve des bribes de son être. Elle s'y sent moins mal que chez
Carotte où elle aimerait seulement disparaître. Elle sent qu'ici,
elle a le droit d'être plus que Patate. Piment le lui a déjà
prouvé. La porte de l'immeuble s'ouvre et elle en profite pour
s'engouffrer dans l'immeuble. Elle sait que Piment vit au 10ème
étage. Elle monte. Personne ne fait attention à elle. Elle
ressemble à ce qu'on voit ici ? C'est drôle. S'il y a bien une
chose à laquelle elle ne s'attendait pas, c'est bien celle-là. Elle
sort de l'ascenseur au 10. Elle trouve facilement l'appartement de
Piment. Elle reconnaît sa voix à travers la mince porte. Elle
sourit. Elle a gagné. Elle retire son sac à dos, le pose à terre
et s'assoit en le plaçant entre ses jambes. Elle s'appuie au mur.
Elle ferme les yeux et elle écoute. Tout s'entend et se comprend
sauf quand la mère de Piment parle la langue du bout du monde.
Piment lui répond quoi qu'il arrive en français. Patate finit donc
toujours par deviner ce que la maman a dit.
Elles
crient toutes les deux. Pendant une heure, elles crient. Pendant une
heure, elles se détestent sans une once de retenue. Patate la
froussarde n'a pas peur. Elle n'est plus ce qu'elle a toujours été.
Elle se remplit de cette aventure. La maman est furieuse que Piment
ne soit pas en tête de classe. Elle s'est battue pour qu'elle
intègre un bon collège et voilà qu'elle ne fait pas tous les
efforts qu'il faut. Piment se défend en criant mais elle n'est pas
la plus forte. Loin de là. Patate sourit encore. Ce qu'on croit des
vérités ne sont que des rôles. Et à chaque moment son rôle.
Piment n'est pas la chef de clan. Piment est la petite dernière de
la grande fratrie et la grande sœur s'y met aussi et la réprimande.
Elle lui dit qu'elle n'est pas digne et qu'elle devrait avoir honte
de tous les sacrifice des autres qu'elle ne respecte pas. C'est à ce
moment-là que Piment s'effondre et que Patate ne l'entend plus.
C'est là que Patate sent un verrou voler en éclat en elle pour ne
plus jamais revenir la clouer.
Piment
se tait.
Piment
n'est pas la plus forte.
Piment
s'est fait frapper.
Piment
part dans sa chambre en pleurant.
Les
sanglots traversent la paroi du mur.
Patate
sourit à Dieu.
Qu on soit piment patate ou même carotte on à tous ses combats démons forces faiblesses et colomb n a sans doute pas échappé à ça...
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RépondreSupprimerSs doute... Drôle à imaginer !
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