dimanche 26 février 2017

Tous les soirs

Tous les soirs, Patate se glissait dans ses draps. Glisser, pas autre chose. Elle aimait leur odeur et leur tendresse. Elle se frottait à eux, comme si elle nageait la brasse dans son lit. Ce n'était pas un spectacle bien rassurant mais dans la tête de Patate, cela n'avait rien de grave, elle qui s'imaginait toujours être une schizophrène en devenir. Et soyons honnêtes, en se couchant, en se levant, en dormant, tout le monde s'adonne à de bizarres rituels qui font rire ou pleurer. Qui font peur, qui donnent envie de s'enfuir à mille lieux quand on dort ensemble pour la première fois et qu'on découvre ça, malgré les apparences très propres du dehors. Donc, Patate se glissait dans ses draps, faisait son truc-là, puis commençait le plus dur. Commençait l'aventure immobile et terriblement intérieure de l'endormissement u plutôt devrais-je dire, du non-endormissement. L'attente les yeux fermés, qui se rouvraient parfois, de temps en temps dans le noir, d'exaspération, d'angoisses. Parce que la nuit passe incroyablement vite, une fois qu'on dort et que peut-être il vaut mieux très mal dormir ou ne pas dormir du tout pour être encore longuement séparé du jour à venir qu'on ne veut pas voir venir, qu'on voudrait reculer, tous les bras et jambes en avant en poussant dessus. Patate se recroquevillait et se retournait brusquement, se mettait à souffler au bout d'une heure, parfois, un coup dans le mur de colère. Mais au fond, elle savait qu'elle ne voulait pas dormir. Et tout se mélangeait alors, l'angoisse d'être épuisée et de se réveiller avant même quoi que ce soit avec les larmes aux yeux, comme un bébé fatigué, l'angoisse de sombrer dans le sommeil et de se réveiller si proche du jour peut-être pourri à venir. L'envie d'oublier et de se laisser aller et l'envie de remplir sa nuit de mille activités conjuratoires de la journée à venir, comme pour être , s'assurer sans les autres qu'elle était bien Patate et tout ce qu'elle aimait avant de voir ses propres miettes en tas devant ses yeux sans corps, sans tête en plein midi. Elle se retrouvait, oui, sans plus ni queue ni tête, ne ressemblant à rien, plus difforme encore que Carotte et surtout désespérée de l'être, se haïssant jusqu'à la dernière de ses molécules. Elle se voyait, entièrement démolie, ne laissant que les yeux accrochés à l'air, parce qu'eux ne meurent jamais. Elle aurait sans doute préféré qu'ils se brisent comme du verre et qu'elle perde alors la notion de ce qui l'entourait, qu'elle s'évanouisse dans un autre monde aveugle. Elle craignait ce moment où ses pairs s'avanceraient, le regard moqueur ou mauvais, ou ce qu'elle croyait l'être, et lui énuméreraient une fois de plus ses 4 vérités. Elle souriait toujours, même si les yeux s'assombrissaient sérieusement. Elle souriait pour faire croire. A elle et aux autres. On sait comment ça marche. Elle ravalait sa douleur et sa colère. Elle se contentait, bêtement, de se voir émietter sur la place publique, elle ne savait rien faire d'autre que d'attendre. Et l'angoisse de se voir accuser, mise au ban, exclue, salie l'enveloppait dès que les yeux se fermaient au creux de son lit si doux pourtant. Ce dernier ne compensait pas la peur de ces scènes et la peur de savoir les autres implacables et elle, incapable. Patate était en danger, du matin au soir, la vie était dangereuse. Pas vue de l'extérieur. Un danger qui ne se mesure pas tant il empoisonne une vie. Elle savait ce danger. Elle savait que chaque jour elle se risquait toujours davantage. Mais elle ignorait l'issue. Elle pensait qu'un jour, elle en mourrait.

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