Tous
les soirs, Patate se glissait dans ses draps. Glisser, pas autre
chose. Elle aimait leur odeur et leur tendresse. Elle se frottait à
eux, comme si elle nageait la brasse dans son lit. Ce n'était pas un
spectacle bien rassurant mais dans la tête de Patate, cela n'avait
rien de grave, elle qui s'imaginait toujours être une schizophrène
en devenir. Et soyons honnêtes, en se couchant, en se levant, en
dormant, tout le monde s'adonne à de bizarres rituels qui font rire
ou pleurer. Qui font peur, qui donnent envie de s'enfuir à mille
lieux quand on dort ensemble pour la première fois et qu'on découvre
ça, malgré les apparences très propres du dehors. Donc, Patate se
glissait dans ses draps, faisait son truc-là, puis commençait le
plus dur. Commençait l'aventure immobile et terriblement intérieure
de l'endormissement u plutôt devrais-je dire, du non-endormissement.
L'attente les yeux fermés, qui se rouvraient parfois, de temps en
temps dans le noir, d'exaspération, d'angoisses. Parce que la nuit
passe incroyablement vite, une fois qu'on dort et que peut-être il
vaut mieux très mal dormir ou ne pas dormir du tout pour être
encore longuement séparé du jour à venir qu'on ne veut pas voir
venir, qu'on voudrait reculer, tous les bras et jambes en avant en
poussant dessus. Patate se recroquevillait et se retournait
brusquement, se mettait à souffler au bout d'une heure, parfois, un
coup dans le mur de colère. Mais au fond, elle savait qu'elle ne
voulait pas dormir. Et tout se mélangeait alors, l'angoisse d'être
épuisée et de se réveiller avant même quoi que ce soit avec les
larmes aux yeux, comme un bébé fatigué, l'angoisse de sombrer dans
le sommeil et de se réveiller si proche du jour peut-être pourri à
venir. L'envie d'oublier et de se laisser aller et l'envie de remplir
sa nuit de mille activités conjuratoires de la journée à venir,
comme pour être , s'assurer sans les autres qu'elle était bien
Patate et tout ce qu'elle aimait avant de voir ses propres miettes en
tas devant ses yeux sans corps, sans tête en plein midi. Elle se
retrouvait, oui, sans plus ni queue ni tête, ne ressemblant à rien,
plus difforme encore que Carotte et surtout désespérée de l'être,
se haïssant jusqu'à la dernière de ses molécules. Elle se voyait,
entièrement démolie, ne laissant que les yeux accrochés à l'air,
parce qu'eux ne meurent jamais. Elle aurait sans doute préféré
qu'ils se brisent comme du verre et qu'elle perde alors la notion de
ce qui l'entourait, qu'elle s'évanouisse dans un autre monde
aveugle. Elle craignait ce moment où ses pairs s'avanceraient, le
regard moqueur ou mauvais, ou ce qu'elle croyait l'être, et lui
énuméreraient une fois de plus ses 4 vérités. Elle souriait
toujours, même si les yeux s'assombrissaient sérieusement. Elle
souriait pour faire croire. A elle et aux autres. On sait comment ça
marche. Elle ravalait sa douleur et sa colère. Elle se contentait,
bêtement, de se voir émietter sur la place publique, elle ne savait
rien faire d'autre que d'attendre. Et l'angoisse de se voir accuser,
mise au ban, exclue, salie l'enveloppait dès que les yeux se
fermaient au creux de son lit si doux pourtant. Ce dernier ne
compensait pas la peur de ces scènes et la peur de savoir les autres
implacables et elle, incapable. Patate était en danger, du matin au
soir, la vie était dangereuse. Pas vue de l'extérieur. Un danger
qui ne se mesure pas tant il empoisonne une vie. Elle savait ce
danger. Elle savait que chaque jour elle se risquait toujours
davantage. Mais elle ignorait l'issue. Elle pensait qu'un jour, elle
en mourrait.
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