Je commence ce livre sur le conseil d’un proche, je l’achète sans
savoir de quoi il retourne. Je constate qu’il a reçu un prix et qu’il est
récent. Qu’il est épais aussi. Cela me plaît. Je pressens bizarrement que je
vais me lier à cet objet plus que je ne m’y attends, pendant un moment, qu’il
sera mon ombre, sur le chemin du travail, dans le bus, dans mon lit avant de
dormir. Je pressens bizarrement que je le traînerai partout, comme tant
d’autres avant lui, mais qu’il ne restera pas fermé pour quelque vague raison
autour du crayon qui marque la page. J’ignore
si c’est moi qui rentre dans ce monde ou si c’est Joël et le monde d’Harry Quebert qui s’immiscent
dans ma demeure secrète. En tout cas, il se passe quelque chose de
délicieusement intrusif.
Je me mets d’emblée
à lire vite et beaucoup. Je ne peux pas me montrer raisonnable. Je pense
d’abord qu’il s’agit d’un roman contemporain très agréable et très facile, dans
tous les sens du terme. Je me mords les doigts de ce jugement honteusement
hâtif et étroitement radical. Oui, le style de L’Affaire Harry Quebert
est un style d’écriture qui ne prétend pas à la poésie et tant mieux. Je
soupconne Joël d’endormir son lecteur et de jouir de le voir d’un coup se
réveiller devant sa subtile construction. La charpente du texte s’avère
finement ciselée. On la découvre peu à peu et non parce qu’on nous la découvre
mais parce qu’on a oublié de faire attention, pris qu’on était par les
personnages et leurs dialogues vivants et entraînants, et qu’on s’aperçoit tout
d’un coup qu’il y a une intelligence cachée derrière tout cela. Le moment où je
me rends compte que je me suis fait avoir, chapitre 21, je m’arrête un instant
et je reviens en arrière. J’avais déjà des doutes mais là, je souris, bernée
par la plume que je croyais tranquille et sans histoires. On ne revient en
arrière que dans les lectures denses, élaborées ou ludiques. L’Affaire Harry
Quebert est tout cela à la fois. Le jeu, c’est celui de l’enquête
policière, qui ne manque pas d’intriguer et d’aiguiser la curiosité du lecteur,
comme tout bon roman policier. Mais je ne dirais pas pourtant que c’est là un
roman policier auquel on a affaire. Le lecteur suit les méandres souvent
abscons d’une enquête mais lui aussi a son énigme à déchiffrer et , on ne le
lui dit pas tout de suite. Il se retrouve nez à nez avec le mystère de
l’écrivain derrière son oeuvre, qui tire les ficelles mais en partie seulement.
La mise en abyme est parfois vertigineuse et agaçante comme tout ce qui décille.
Une réflexion permanente sur l’écriture, son sens, les motivations qui la
sous-tendent et la place que la littérature que prendre dans une vie se
déroule. Le lecteur se doit de réfléchir à sa situation et à la position dans
laquelle il se trouve, le rôle qu’il joue dans la construction de ce livre et
de tous les livres.
Il me semble
difficile d’inclure définitivement La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert
dans la case d’un genre littéraire, c’est sans doute la raison pour laquelle je
me pose et repose cette question du genre. L’image d’une arabesque gracieuse et
colorée me vient à l’esprit pour l’évoquer. Je m’en tiens là, cela me semble aujourd’hui
plus fidèle qu’un mot, que je trouverai peut-être plus tard. Cette courbe
virevoletante est aussi celle du temps qui danse et se met en scène pour nous
lecteurs. L’élément structurant de ma lecture et du souvenir que j’en garde,
c’est cette temporalité hachée et toujours mouvante qui anime L’Affaire.
En elle résident bien des réponses à l’enquête du héros et à celle du lecteur.
Sa richesse est longue et ardue à cerner. Estc-ce vraiment un objectif ? Pour
ma part, je me contente de contempler cette complexité, assez majestueuse je
dois dire, certainement émouvante dans son esthétique et dans l’acte créateur
qu’on sent la porter.
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