mardi 7 mai 2013

La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, Joël Dicker



            Je commence ce livre sur le conseil d’un proche, je l’achète sans savoir de quoi il retourne. Je constate qu’il a reçu un prix et qu’il est récent. Qu’il est épais aussi. Cela me plaît. Je pressens bizarrement que je vais me lier à cet objet plus que je ne m’y attends, pendant un moment, qu’il sera mon ombre, sur le chemin du travail, dans le bus, dans mon lit avant de dormir. Je pressens bizarrement que je le traînerai partout, comme tant d’autres avant lui, mais qu’il ne restera pas fermé pour quelque vague raison autour du crayon qui marque la page.  J’ignore si c’est moi qui rentre dans ce monde ou si c’est Joël  et le monde d’Harry Quebert qui s’immiscent dans ma demeure secrète. En tout cas, il se passe quelque chose de délicieusement intrusif.
            Je me mets d’emblée à lire vite et beaucoup. Je ne peux pas me montrer raisonnable. Je pense d’abord qu’il s’agit d’un roman contemporain très agréable et très facile, dans tous les sens du terme. Je me mords les doigts de ce jugement honteusement hâtif et étroitement radical. Oui, le style de L’Affaire Harry Quebert est un style d’écriture qui ne prétend pas à la poésie et tant mieux. Je soupconne Joël d’endormir son lecteur et de jouir de le voir d’un coup se réveiller devant sa subtile construction. La charpente du texte s’avère finement ciselée. On la découvre peu à peu et non parce qu’on nous la découvre mais parce qu’on a oublié de faire attention, pris qu’on était par les personnages et leurs dialogues vivants et entraînants, et qu’on s’aperçoit tout d’un coup qu’il y a une intelligence cachée derrière tout cela. Le moment où je me rends compte que je me suis fait avoir, chapitre 21, je m’arrête un instant et je reviens en arrière. J’avais déjà des doutes mais là, je souris, bernée par la plume que je croyais tranquille et sans histoires. On ne revient en arrière que dans les lectures denses, élaborées ou ludiques. L’Affaire Harry Quebert est tout cela à la fois. Le jeu, c’est celui de l’enquête policière, qui ne manque pas d’intriguer et d’aiguiser la curiosité du lecteur, comme tout bon roman policier. Mais je ne dirais pas pourtant que c’est là un roman policier auquel on a affaire. Le lecteur suit les méandres souvent abscons d’une enquête mais lui aussi a son énigme à déchiffrer et , on ne le lui dit pas tout de suite. Il se retrouve nez à nez avec le mystère de l’écrivain derrière son oeuvre, qui tire les ficelles mais en partie seulement. La mise en abyme est parfois vertigineuse et agaçante comme tout ce qui décille. Une réflexion permanente sur l’écriture, son sens, les motivations qui la sous-tendent et la place que la littérature que prendre dans une vie se déroule. Le lecteur se doit de réfléchir à sa situation et à la position dans laquelle il se trouve, le rôle qu’il joue dans la construction de ce livre et de tous les livres.
            Il me semble difficile d’inclure définitivement La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert dans la case d’un genre littéraire, c’est sans doute la raison pour laquelle je me pose et repose cette question du genre. L’image d’une arabesque gracieuse et colorée me vient à l’esprit pour l’évoquer. Je m’en tiens là, cela me semble aujourd’hui plus fidèle qu’un mot, que je trouverai peut-être plus tard. Cette courbe virevoletante est aussi celle du temps qui danse et se met en scène pour nous lecteurs. L’élément structurant de ma lecture et du souvenir que j’en garde, c’est cette temporalité hachée et toujours mouvante qui anime L’Affaire. En elle résident bien des réponses à l’enquête du héros et à celle du lecteur. Sa richesse est longue et ardue à cerner. Estc-ce vraiment un objectif ? Pour ma part, je me contente de contempler cette complexité, assez majestueuse je dois dire, certainement émouvante dans son esthétique et dans l’acte créateur qu’on sent la porter.


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