dimanche 12 mai 2013
Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants de Mathias Enard
À son habitude, c'est dans un style invitant au rêve que Mathias Enard nous narre la tranche d'une fameuse vie, celle de Michel Ange. Ces grandes figures de l'art, derrière leurs œuvres écrasantes de célébrité, dont on imagine délicieusement la vie. Mais dont on ne sait finalement rien, d'autant plus qu'elles sont si vieilles et de fait, presque mythologiques. On n'y touche pas, j'ai presque l'impression qu'on a admis qu'on n'en saurait pas davantage sur le magicien de cette œuvre, et que peut-être que cela nous arrange parce qu'on préfère qu'il demeure comme on le rêve, évanescent, fragile et solide à la fois, maladroit et génial, humain pas trop humain, méconnu qui se révèle au monde dans un éclair divin. Mathias Enard s'attelle donc a cette dure tâche : raconter ce que l'on aime à rêver. Mais le talent d'Enard réside précisément dans cette habileté à raconter un rêve sans le dénaturer, en l'asseyant en tant que tel alors même qu'il outrepasse sa qualité d'insaisissable. La concrétude du livre, des pages, de leur froissement et du poids de l'objet en deviennent presque irréels et curieux. L'écrivain manie ce dérangeant paradoxe de la matérialisation d'un monde qu'il construit sur des fondations rêvantes, volatiles par essence. Eh bien non ! Le rêve prend corps et il est loin d'être impalpable. L'art des mots laisse a chacun le soin de se forger ses images, ses couleurs si on sait lui préserver son pouvoir d'évocation. Mathias Enard donne à voir et à entendre et pourtant c'est bien en lui-même que le lecteur doit puiser pour se représenter cet univers.
De fait, face à ce petit livre, on est confronté à la solitude du lecteur acteur et partir prenante dans la fabrique du monde qu'on lui propose et qu'il peut ne pas accepter, qui ne s'impose pas à lui parce qu'il exige de lui d'être volontaire et créatif dans ce chantier. C'est un peu comme une trame brillante de richesses et de promesses que le lecteur choisit ou non de parcourir et d'animer de conserve avec le narrateur, guide auquel il peut se fier mais non aveuglément puisqu'il n'a pas toutes les réponses. Le dessin de Michel-Ange qui nous attend dans les dernières pages du livre est déconcertant et tant attendu pourtant. Moi lecteur, je me suis vue libre d'échafauder un univers enivrant de beauté à partir des subtiles esquisses que je déchiffrais et voilà qu'on me montre ce que les mots disaient, la vérité historique de l'artiste, qui me déçoit immanquablement. Mais qui me tend comme un miroir l'énormité du fossé entre moi-je et la réalité.
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