lundi 23 juillet 2018

Les Guerriers de l'Ombre

Au fil des mois, mon univers se referma sur ces deux socles inédits, comme sortis de terre en même temps que moi-même. Car en effet, l'existence précédente tenait et tient toujours lieu de vaste farce fantomatique. Je n'étais rien avant.
Beka et Aaron avaient cela en commun, que l'on ne percevait certainement pas de prime abord, (qui les aurait rapprocher?) d'être des guerriers de l'ombre. La formule est solennelle. Elle peut le sembler trop. Pourtant, elle l'est autant que nécessaire. Il ne s'agit pas d'une petite guerre d'ado qui crisouille. Il s'agit, comme je l'ai déjà dit et redit, de la guerre qui fait qu'on survit ou qu'on choisit entre la mort ou la folie. Pas d'exagération. Pas d'emphase ici. Juste ce dont on ne veut pas parler parce que ce n'est pas joli à penser ni à dire. Non ce n'est pas joli. Non ce n'est pas sympa. Mais qui dit que la vie est sympa ? Pur ces deux-là en tout cas, elle avait été véritablement impitoyable et ils n'avaient eu d'autres issues pour rester dans le coup que de devenir des guerriers de l'ombre. Ils n'en avaient pas l'air, c'est bien le principe de l'ombre. Ils avaient l'air comme les autres. Ils maniaient à merveille l'art de se fondre dans le désir de l'autre et de lui répondre ce qu'il attendait sans que l'autre n'en ait l'impression. De lui donner ce qu'il attendait tout en lui faisant croire qu'il lui résistait. A cet âge-là, donner est l’œuvre d'un faible et non d'un généreux. Si l'on ne résiste pas, en tout cas le jouer et sauver sa peau. Ils étaient en cela de parfaits acteurs. Bien sûr qu'ils avaient l'un comme l'autre de fortes personnalités. Peut-être trop fortes pour notre âge et que quoi qu'il en soit, ils n'avaient pas eu d'autre choix que de l'enfouir pour avancer dans le clan des humains. Aussi, peut-être que cela les a préservés eux comme moi de la folie et d'une colère tellement puissante qu'elle aurait souffler le monde mieux qu'une nucléaire.
En tant que guerriers de l'ombre, Aaron et Beka étaient foncièrement des solitaires. Ils accrochaient le peloton quand il le fallait mais moins que la moyenne et sans plaisir apparent. Je n'en percevais pas pour ma part quand je les observais en groupe. Chacun à sa manière, ils se forçaient à danser la chorégraphie imposée, avec adresse, je ne pouvais pas le nier et je l'admirais même, mais ils y mettaient trop d'énergie pour que cela vienne d'eux-mêmes. Ils se contraignaient pour obtenir ensuite leur tranquillité. Des solitaires dans l'âme, faute d'interlocuteur peut-être, et des conquérants. Guerriers pour survivre, nous l'avons bien compris. Le malheur a eu sa place dans les lignes ci-dessus. Mais ils étaient déjà des guerriers à la conquête. Tout comme je menais ma croisade folle, ils menaient les leurs. Ils étaient des conquistadors solitaires. Non des massacreurs avides de pouvoir. Des diplomates nés. De ceux qui ne cessent jamais la lutte avant de l'avoir gagné, quel qu'en soit le prix et quelle qu'en soit la durée.Une patience carnassière.
Ils n'avaient rien de prédateurs. Ils pouvaient parfois s'en donner l'air. Mais ce n'étaient que des airs. Ils avaient en eux pourtant cette soif de revanche que leur avaient légué les proches nuisibles qu'ils avaient dû côtoyer. Ils en avaient fait leur miel et quand ils avaient une idée en tête, nul n'aurait pu les en détourner. Ah ça ils vous auraient écouté leur expliquer ceci cela et que ce serait mieux comme ça. Ils ne vous auraient pas interrompus. Ils ne vous auraient surtout pas interrompus. Aaron vous aurait gratifié d'un sourire étincelant. Beka vous aurait lancé un regard de biche. Et ils vous auraient tous deux sans aucun doute répondu : « oui pourquoi pas. Mais je vais faire comme j'ai dit. » Et il ne restait plus grand-chose à dire puisque tous les arguments avaient été avancé d'un coup. Ils étaient fin stratèges et savaient déjà laisser l'autre se délester de toutes ses cartes et attendre qu'il en soit démuni pour abattre la sienne. Une seule mais sans appel.
Ils pourra ou pourraient leur sembler, à eux Aaron et Béka, étrange d'être mis dans le même panier comme on dit. Ils pourraient se récrier. Je ne parle en vérité que de ce que je pouvais et peux comprendre d'eux. Je ne prétends pas en avoir compris les arcanes les plus secrètes. Je les ai connus comme personne dans ma vie, dans une intimité silencieuse qui jamais ne se répète. Mais je reste inobjective et ce sont mes yeux qui ont vu et voient toujours ces deux êtres appartenir à cet ordre des Guerriers de l'Ombre, diplomates en puissance. Je crois que l'avenir me donna en partie raison mais j'espère ne pas les offenser en affirmant avoir tout compris. Je n'ai et personne ne devrait avoir cette prétention répugnante de penser connaître quelqu'un. Personne ne connaît personne et il n'y a pas de remède à cela si ce n'est l'empathie et le respect. Toute réclamation sera en tout cas entendue si les intéressés en éprouvent le besoin.

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