samedi 14 juillet 2018

Pierre Lemaître, Les couleurs de l'incendie, Editions Audiolib

Bien sûr, un livre lu par son auteur respire du souffle parfaitement adéquat.
Ses contemporains disaient de Proust que sa prose reflétait son phrasé d'asthmatique. Encore faut-il l'avoir connu ou le savoir pour en effet entendre le chuintement et les pauses imposées par le corps haletant. Cela ne peut se deviner. Puisque chacun lit avec son propre rythme et ses propres respirations. Pierre Lemaître nous offre en prêtant sa voix et sa tonalité si particulière le rythme et le souffle avec lesquels il a écrit Les couleurs de l'incendie. Vous me direz que c'est l'objectif de la lecture par l'auteur lui-même. Certes. C'est indéniable. Mais la voix de l'auteur n'est pas toujours aussi accessible, aussi évidente. L'on peut tâtonner quelque temps avant de savoir sur quel pied danser. Ici, l'ambiance est clairement posée. La voix de Lemaître plante le décor et l'éclairagiste, l'ingénieur du son n'ont plus qu'à remballer. L'on est embarqué ni une ni deux.
L'on parle du style de l'écriture. Il a fait couler de sérieuses quantités d'encre. Il ne paraît pas que l'objectif de Pierre Lemaître dans cet ouvrage tout comme dans Au revoir là-haut soit de se poser en novateur linguistique. Ce qui n'implique pas qu'il partagerait son style avec quiconque, puisque cela est tout simplement impossible. Son style est à lui, oui. Mais pas d'entreprise stylistique à proprement parler. Semble-t-il. Peut-être qu'il me contredira sur ce point. Mais lorsqu'on entend Pierre Lemaître lire son ouvrage, le style est bel et bien là. Pas dans les formulations ou dans la suite des mots. Dans leur façon d'être dites, dans sa façon de les dire et de leur donner vie. C'est là qu'il impose son style. L'interprétation de son propre livre par l'auteur m'a donné l'impression de faire partie du livre lui-même et j'ai pensé qu'il serait idéal de toujours pouvoir entendre la voix de celui qui a tracé les mots. L'on peut après cette écoute se rendre compte que ne pas entendre l'écrivain raconter son œuvre nous prive d'un élément de style notoire. On pourrait affirmer que la voix de l'auteur et la nôtre, celle de lecteur, ne peuvent pas coexister. Je ne vois pas la difficulté. Les subjectivités se rencontrent et peut-être justement que notre véritable voix, physique, charnelle, même tue car astucieusement inhibée par notre formidable lobe frontal, se réveille et vient enrichir la voix intérieure de la lecture. Les neurologues pourraient développer sans doute considérablement cette réflexion embryonnaire.

Venons-en à la matière des Couleurs de l'incendie. C'est un univers à lui seul qui ne branle pas. Solide, dans lequel le lecteur peut plonger en confiance. Le narrateur est sûr et nous guide dans ses eaux. Il nage dans son élément et l'on se laisse entraîner quoi qu'on en dise, pris dans le conte. Il connaît ses personnages, il n'en dévoile pas tout. Il préfère nous les faire voir parler et agir pour que l'on en comprenne les rouages. C'est une vraie vie qui s'agite là. Et le narrateur rit de son propre récit car l'humain prête à rire et qu'il nous le fait bien entendre.
L'on retrouve comme un ami de longue date la fresque sociale classique de nos grands Zola et Balzac. J'ai beaucoup pensé à Balzac et aux tableaux qu'il dresse de sa société derrière une plume ironique en écoutant ce roman de Pierre Lemaître. Il y a en effet ce calme dans la narration, ce fleuve tranquille qui pourtant brasse des drames. Mais la lecture en est à coup sûr un plaisir, une baignade sans noyade, méditerranéenne, aussi agréable que cela... Une petite mer plutôt qu'un fleuve oui c'est cela. Une petite mer, grande car mer mais pas océanique, qui ne touche pas aux limites, qui ne nous déclare aucune guerre. La guerre est celle que mène les personnages.
Justement les personnages sont gros, presque enceints d'Histoire et d'autres personnages qui les ont précédés dans leurs livres. Toute une littérature serait comme contenue dans Les couleurs de l'incendie. Les personnages sont pourrait-on dire archétypaux mais ce n'est pas rendre hommage à leur vivacité que de les figer ainsi dans un rôle connu et reconnu. Parfois l'on sait à qui ils nous font penser et s'ouvre l'intertextualité qui permet tous les possibles : André Delcourt serait Julien Sorel, Paul Péricourt l'enfant maudit qui prend sa revanche sur la vie etc. Parfois on l'ignore. Mais l'on entend bourdonner le chant des personnages croisés et suivis lors d'autres lectures, certaines très vieilles.
Le personnage de Madeleine est particulièrement captivant et c'est bien elle l'héroïne modeste de toute l'histoire. C'est elle qui se révèle comme on ne l'aurait jamais crue et qui se battra bec et ongles jusqu'à la mort s'il le faut pour protéger son nom et son enfant. Comme dans les innombrables romans théâtres des grand huit des ascensions et déboires sociaux de leurs protagonistes, Madeleine et Paul en premier lieu mais aussi André et Gustave, Léonce, nous donnent à voir, une fois de plus s'il en était besoin que l'apparence et la place sociales ne valent qu'en elles-mêmes. Elles servent ou freinent les ambitions mais que jamais elles ne traduisent le vrai Je tapi derrière elles. C'est le conte et son conteur qui le font, pas la soi-disant réalité, sociale.
L'on ne geint pas. L'on ne se pâme pas. L'on observe les acteurs jouer leur existence, dessiner leur trajectoire et construire leur avenir, sans en avoir conscience. L'on rit avec le narrateur et son ironie discrète. On ne les aime pas vraiment tous ces personnages. Il ne s'agit pas de s'y retrouver ou de s'y attacher. Ils sont à observer. En entomologiste raffiné. Souvent le sourire aux lèvres.
Tout en calme et justesse.

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