Bien
sûr, un livre lu par son auteur respire du souffle parfaitement
adéquat.
Ses
contemporains disaient de Proust que sa prose reflétait son phrasé
d'asthmatique. Encore faut-il l'avoir connu ou le savoir pour en
effet entendre le chuintement et les pauses imposées par le corps
haletant. Cela ne peut se deviner. Puisque chacun lit avec son propre
rythme et ses propres respirations. Pierre Lemaître nous offre en
prêtant sa voix et sa tonalité si particulière le rythme et le
souffle avec lesquels il a écrit Les couleurs
de l'incendie. Vous me direz que c'est
l'objectif de la lecture par l'auteur lui-même. Certes. C'est
indéniable. Mais la voix de l'auteur n'est pas toujours aussi
accessible, aussi évidente. L'on peut tâtonner quelque temps avant
de savoir sur quel pied danser. Ici, l'ambiance est clairement posée.
La voix de Lemaître plante le décor et l'éclairagiste, l'ingénieur
du son n'ont plus qu'à remballer. L'on est embarqué ni une ni deux.
L'on
parle du style de l'écriture. Il a fait couler de sérieuses
quantités d'encre. Il ne paraît pas que l'objectif de Pierre
Lemaître dans cet ouvrage tout comme dans Au
revoir là-haut soit de se poser en novateur
linguistique. Ce qui n'implique pas qu'il partagerait son style avec
quiconque, puisque cela est tout simplement impossible. Son style est
à lui, oui. Mais pas d'entreprise stylistique à proprement parler.
Semble-t-il. Peut-être qu'il me contredira sur ce point. Mais
lorsqu'on entend Pierre Lemaître lire son ouvrage, le style est bel
et bien là. Pas dans les formulations ou dans la suite des mots.
Dans leur façon d'être dites, dans sa façon de les dire et de leur
donner vie. C'est là qu'il impose son style. L'interprétation de
son propre livre par l'auteur m'a donné l'impression de faire partie
du livre lui-même et j'ai pensé qu'il serait idéal de toujours
pouvoir entendre la voix de celui qui a tracé les mots. L'on peut
après cette écoute se rendre compte que ne pas entendre l'écrivain
raconter son œuvre nous prive d'un élément de style notoire. On
pourrait affirmer que la voix de l'auteur et la nôtre, celle de
lecteur, ne peuvent pas coexister. Je ne vois pas la difficulté. Les
subjectivités se rencontrent et peut-être justement que notre
véritable voix, physique, charnelle, même tue car astucieusement
inhibée par notre formidable lobe frontal, se réveille et vient
enrichir la voix intérieure de la lecture. Les neurologues
pourraient développer sans doute considérablement cette réflexion
embryonnaire.
Venons-en
à la matière des Couleurs de l'incendie.
C'est un univers à lui seul qui ne branle pas. Solide, dans lequel
le lecteur peut plonger en confiance. Le narrateur est sûr et nous
guide dans ses eaux. Il nage dans son élément et l'on se laisse
entraîner quoi qu'on en dise, pris dans le conte. Il connaît ses
personnages, il n'en dévoile pas tout. Il préfère nous les faire
voir parler et agir pour que l'on en comprenne les rouages. C'est une
vraie vie qui s'agite là. Et le narrateur rit de son propre récit
car l'humain prête à rire et qu'il nous le fait bien entendre.
L'on
retrouve comme un ami de longue date la fresque sociale classique de
nos grands Zola et Balzac. J'ai beaucoup pensé à Balzac et aux
tableaux qu'il dresse de sa société derrière une plume ironique en
écoutant ce roman de Pierre Lemaître. Il y a en effet ce calme dans
la narration, ce fleuve tranquille qui pourtant brasse des drames.
Mais la lecture en est à coup sûr un plaisir, une baignade sans
noyade, méditerranéenne, aussi agréable que cela... Une petite mer
plutôt qu'un fleuve oui c'est cela. Une petite mer, grande car mer
mais pas océanique, qui ne touche pas aux limites, qui ne nous
déclare aucune guerre. La guerre est celle que mène les
personnages.
Justement
les personnages sont gros, presque enceints d'Histoire et d'autres
personnages qui les ont précédés dans leurs livres. Toute une
littérature serait comme contenue dans Les
couleurs de l'incendie. Les personnages sont
pourrait-on dire archétypaux mais ce n'est pas rendre hommage à
leur vivacité que de les figer ainsi dans un rôle connu et reconnu.
Parfois l'on sait à qui ils nous font penser et s'ouvre
l'intertextualité qui permet tous les possibles : André
Delcourt serait Julien Sorel, Paul Péricourt l'enfant maudit qui
prend sa revanche sur la vie etc. Parfois on l'ignore. Mais l'on
entend bourdonner le chant des personnages croisés et suivis lors
d'autres lectures, certaines très vieilles.
Le
personnage de Madeleine est particulièrement captivant et c'est bien
elle l'héroïne modeste de toute l'histoire. C'est elle qui se
révèle comme on ne l'aurait jamais crue et qui se battra bec et
ongles jusqu'à la mort s'il le faut pour protéger son nom et son
enfant. Comme dans les innombrables romans théâtres des grand huit
des ascensions et déboires sociaux de leurs protagonistes, Madeleine
et Paul en premier lieu mais aussi André et Gustave, Léonce, nous
donnent à voir, une fois de plus s'il en était besoin que
l'apparence et la place sociales ne valent qu'en elles-mêmes. Elles
servent ou freinent les ambitions mais que jamais elles ne traduisent
le vrai Je tapi derrière elles. C'est le conte et son conteur qui le
font, pas la soi-disant réalité, sociale.
L'on
ne geint pas. L'on ne se pâme pas. L'on observe les acteurs jouer
leur existence, dessiner leur trajectoire et construire leur avenir,
sans en avoir conscience. L'on rit avec le narrateur et son ironie
discrète. On ne les aime pas vraiment tous ces personnages. Il ne
s'agit pas de s'y retrouver ou de s'y attacher. Ils sont à observer.
En entomologiste raffiné. Souvent le sourire aux lèvres.
Tout
en calme et justesse.
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