- Bon. Le bordel dans ma tête.
- …
- Par où je peux commencer ? je sens que je m’embrouille avant même d’avoir ouvert la bouche.
- Vous êtes clair pour l’instant.
- Je n’ai pas commencé donc je suis clair, évidemment. Vous, vous avez commencé à m’emmerder en revanche. C’est ça votre boulot en fait, emmerder le monde. Il y a deux catégories de gens qui font chier : les folles et les psys.
- …
- Et puis arrêtez de sourire. J’ai l’impression que vous ne me prenez pas au sérieux.
- Vous préféreriez que je me mette en colère et que je hurle ?
- Peut-être.
- Cela ne vous est jamais arrivé ?
- Non. C’est moi qui hurle dans cette famille. Et Anna si, c’est vrai. Mais pas contre moi. Jamais.
- Elle hurlait contre les objets, contre mes parents, contre ma tante, contre le chien. Jamais contre moi. C’est étrange dites donc ce truc-là. Pourtant je lui ai fait des misères. Je savais la prendre par ses faiblesses. Elle se retournait toujours vers un autre. Souvent une autre. C’est comme si je n’étais pas capable de supporter ses hurlements, qu’elle me trouvait trop fragile pour les entendre. De fait, je les entendais comme les autres mais je ne les supportais pas contre moi directement. Et maintenant, je ne déteste pas qu’on me crie dessus. Ca me fait rire. Je suis pris d’un irrépressible fou rire quand on se fâche tout rouge contre moi. Je trouve ça ridicule. Comme si cela ne pouvait pas être réel.
- Pas réel, c’est-à-dire ?
- Ben, pas réel. Vous comprenez très bien ce que je veux dire. Pas réel, comme une pièce de théâtre où chacun joue son rôle et lui en face c’est le méchant ronchon du métro, le célébrissime parisien insupportable. Il n’est pas crédible. Ou l’incontournable mégère du quartier, il y en a toujours une dans son quartier, n’est-ce-pas ?
- Si vous le dites.
- Si je le dis, rien du tout. C’est bien la vérité. D ’ailleurs, il y en a bien souvent plus d’une. Tout un petit groupe. Si j’ai le malheur de les croiser, je me retiens de pouffer devant elles mais je m’éloigne rapidement pour pouvoir me soulager. C’est dur de se retenir…
- Vous soulager ?
- De rire oh ! de rire !
- Bien.
- Non, pas bien. C’est crispant. Et puis je deviens tout cramoisi comme les bébés qui poussent dans leur couche. On dirait que je vais éclater, comme eux.
- Vus avez peur de leur éclater dessus ?
- Bien sûr que j ai peur de leur éclater à la tronche et de les salir en public comme ça. Je n’aurais même pas honte mais elles alors…
- …
- Comme toujours avec vous, on est parti dans des histoires sordides. Et puis vous me faites parler d’excrément alors que je n’avais rien demander. Tous pareils ces psys. Comme si c’était si important toutes ces choses intimes. Bref, je venais aujourd’hui pour vous dire que je suis très emmerdé, vraiment.
- …
- Je suis empêtré entre ma haine de cette sœur complètement fracassée et une grande tendresse pour elle. Je vous explique : je suis allé dîner en famille hier soir. Et Anna était bien en forme, souriante même par moments. Je ne l’avais pas vue come ça depuis des lustres. C’est vrai, ça m’a vraiment fait chaud au cœur. Et elle nous a fait rire, comme jamais ! elle nous a fait pleurer tous les jours de notre passé mais hier, elle était épatante. C’est là que je me rends compte de l’affection que j’ai quand même pour elle. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir voulu tout effacer. C’est comme certains matins, je me réveille bras dessus bras dessous avec elle. Comme dirait ma grand-mère, on est comme cul et chemise quand je dors. Dans la réalité, c’est un autre combat. C’est une folle.
- Comment s’appelle-t-elle dans vos rêves ?
- La folle bien sûr. Mais dans mes rêves, c’est un petit nom douillet. C’est louche ce truc. Pourquoi vous m’avez posé cette question ? du nom ?
- Vous avez beaucoup répété la folle, ça m’a interpellé.
- Ah bon.
- …
- Et donc, hier soir, elle s’est mise à raconter (Anna n’est pourtant pas une fille qui raconte ; c’est une fille qui commente ; mais bon, c’était un autre jour hier). Elle a raconté les histoires de cœur de son travail. Pas les siennes bien entendu. Elle n’a pas de cœur. Mais elle a cul ! un de ces culs ! Oh pardon qu’est-ce que j’ai dit mon Dieu ! qu’est-ce que j’ai dit ? C’est dégueulasse de dire ça de sa sœur, qu’est-ce qui m’a pris ? C’est pas possible que j’aie dit ! Je viens vraiment de dire ça ?
- Ca quoi ?
- Ben que ma sœur avait un de ces culs ! un de ces culs mon cochon ! Oh merde ! Oh mais non, c’est pas possible ! Quelle ordure je fais !
- Vous avez bien dit ce que vous venez de dire oui.
- Je viens de le répéter oui merci, enculé ! Oh pardon, pardon, pardon.
- …
- Quelle sacrée merde. Je m’embourbe.
- Que se passe-t-il aujourd’hui Herbert ?
- Je me sens tiraillé. Je vous l’ai dit en arrivant. Et quand je suis tiraillé, je déraille. Ca part en sucette mon histoire. J’essaye de finir. Et justement donc Anna nous racontait les histoires de cœur et de cul qui se passent à son travail. Elle ne dit rien et je suis sûr que ses collègues ne la soupçonneraient jamais d’observer tout ça. Et encore moins de le raconter. Elle prend son air de sainte-nitouche et puis, elle entend tous les détails salaces que donnent ses collègues quand ils se retrouvent dans la pièce commune. Et elle enregistre aussi fidèle qu’un magnéto de poche. Elle raconte tout ça avec un air tellement placide en plus. C’est hilarant.
- C’était un bon moment que vous avez passé en famille hier donc ?
- Oui, un bon moment, même très bon. Je me demande si cela m’est déjà arrivé…
- …
- Oui quand même mais cela faisait un bail ! Ca fait du bien. Le problème c’est que je ne sais plus quoi penser. Je me surprends à me dire que je n’ai peut-être pas raison de la bannir de mon univers.
- Je crois que vous ne la bannissez pas de votre univers, bien au contraire.
- Oui elle est très présente. J’en rêve tous les deux jours quand même.
- Qu’y a-t-il dans ces rêves ?
- Oh je ne me rappelle jamais de ce qui s’y passe. Je sais seulement qu’on est comme cul et chemise.
- Vous êtes le cul ou la chemise ?
- La chemise évidemment puisqu’elle est un cul ! un cul de cul ! Oh mais c’est pas possible. C’est vous avec vos questions aussi. Vous me provoquez. Ca sert à rien de me provoquer comme ça !
- Excusez-moi mais je crois que ces mots sortent de manière très spontanée.
- Sans doute oui. Mais enfin vous ne m’aidez pas à me contrôler.
- C’est le but en effet.
- Voilà ! c’est bien ce que je vous dis. Enculé va ! Oh mais non…
- Vous aimeriez que je vous donne la fessée.
- Oh oui ! noooon !
- Que votre sœur vous donne la fessée ?
- Oh oui ! hmmm ! Nonoooon ! Quel pervers !
- Vous ou moi ?
- Les deux.
- Je ne me sens pas pervers et je ne crois pas que vous le soyez non plus Herbert.
- Herbert le pervers ! C’est parfait.
- Nous en reparlerons la semaine prochaine.
- OK enculé. Pardon. Pfff
- Pas de problème. Reposez-vous ce soir. Donnez-vous le temps.
- Je vais encore me tournicoter les neurones, enculer les mouches, et merde ! Bon, au revoir Docteur
- Au revoir Herbert.
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