Le miroir la détisse,
elle ne lui résiste pas.
Elle sait que tout son corps va s'ouvrir et s'étaler
en petites cases chirurgicales
qu'elle va compter
argumenter
discuter.
Toutes ces choses que tout le monde laisse à sa place,
tant que tout, fonctionne.
Pas même trente ans,
elle dépiaute organes et membres.
A quatre-vingts ou soixante-dix,
elle ne sera pas tentée d'hypocondrie.
Elle aura déjà tout décortiqué
des millions de fois.
Peut-être que contrairement aux autres,
elle se trouvera plus tiède dans son vieux corps.
Aujourd'hui comme toutes les fins de mois,
en toutes saisons,
en tous lieux,
elle épluchera le sexe.
On lui dit elle,
on lui dit les mots avec un e.
Et en fin de mois elle peut encore moins oublier.
Toutes ces féminités,
qu'on lui attribue,
cinglent à ses oreilles.
Elle en a mal aux tympans.
Elle doit s'isoler au miroir.
Elle doit rester debout, au moins un petit moment.
...
Pour reprendre conscience de l'ampleur du problème.
Ensuite,
les positions variées enrichissent les points de vue.
Elle ne demande que ça.
Alors,
elle recommence l'inénarrable cirque :
je suis Anna
je suis un être féminin,
elle préfère dire femelle, ça simplifie le débat.
Et elle se sent moins seule,
bête.
Je suis un être en creux.
Je tourne autour d'un trou.
C'est une crevasse qui me fonde.
Je ne peux pas m'y faire.
J'ai deux définitions : trouée, rouquine.
Ma raison d'être est un tunnel orange.
Je suis une énième fois
humiliée et trahie
par mon corps et ma race,
par Dieu et tous les hommes.
Parlons-en donc de Dieu et tous les hommes.
Dieu, je ne le plains pas.
Il est au pire invisible.
Il s'insinue partout,
dans tous les trous.
Ça voudrait dire que Dieu baise
et !
se
tape !
toutes les femelles du monde,
et !
ni vu ni connu ?
Quant à tous les autres,
J'ai des années
rêvé d'être pourvue
aussi.
Eunuque de naissance,
c'est quand même révoltant.
Remarquez que tout un chacun y trouve une norme.
Eh bien moi,
devant mon miroir nue,
pas beau pour un sou,
mais lucide,
je perds le sens.
Je me noie dans mes sous-terrains,
galeries humides et sombres.
Où peut-être Dieu s'y retrouve
à force de pratiquer.
Peut-être l'aura.
J'ai tellement chassé le membre fantôme
que je remonte,
a la surface,
par le gosier.
Absurde rond et rond petit patapon.
Elle reprend forme humaine
par politesse.
Mais ce détour hachoir par le miroir,
l'a brisée plus menue encore.
Anna n'est ni femelle ni mâle.
L'une pas assez et l'autre trop.
Elle a rempli la cave qui ne peut rester bée.
Toutes les mouches y pondraient.
Elle.
Anna.
Réversible.
Territoire vierge et neutre.
Cycle parfait.
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