Vade Retro Altruis !
J’étouffe de vous savoir ici, même en fermant les yeux.
Vous êtes trop là.
Vous êtes trop près.
Vous me touchez, vous me palpez, vous m’enferrez dans votre vie, dans votre cercle de vivants,
Votre présence ancre ses ventouses dans ma peau, elle s’insinue, elle détruit toutes les barrières que j’ai tenté d’échafauder, chaque fois d’une autre manière, plus efficace, mais pas assez. Cabane de paille, de bois, de briques, et pont-levis et douves de feu, iceberg givrés.
Vos mots et vos 37 degrés sont toujours les plus forts.
Vous parvenez à rentrer dans mon être, à m’effondrer sans heurts.
Vade Retro Altruis !
Ma carapace est molle, plastique, polie, conciliante.
L’être qu’elle renferme est colérique et avide de solitude, asthmatique de votre air, de votre souffle, en quête d’un repaire coi.
Ne plus parler, ne plus écouter, ne plus entendre, ne plus regarder, sans vous surtout, sans tous ces congénères bruyants et émouvants.
Je veux m’appartenir.
Je vous laisse ma dépouille, invariablement, vous en disposez presque autant que voulu. Je crois être hors de vous et je vous cède la place.
J’ai posé tous les pièges et les verrous du monde pour me barricader et enfin être à moi. Et je vous tends le passe et désamorce les pièges en oubliant mon vœu.
Je ne sais pas vous résister et vous barrer le passage, vous dire que là c’est non et qu’il n’y a pas de mais.
Vade Retro Altruis !
Je suis trouée
plus ou moins déchirée,
sans l’atroce douleur du paroxysme.
Je suis trouée comme une vieille chaussette trop jeune pour être vieille.
Je suis trouée comme un tout minuscule encore spongieux, trop vieille pour être aussi jeune.
Je suis trouée d’infimes piqures, ma surface est une moustiquaire qui laisse s’engouffrer toutes les effluves de tous ceux qui m’approchent.
Je suis trouée jusqu’aux viscères comme un squelette décomposant.
Les insectes grouillent dans ces multiples anfractuosités si douillettes à leurs corps vibrants ou gluants.
Je suis trouée atteinte de petite vérole jusqu’au fin fonds de l’utérus.
On m’a dit un jour qu’il y a un noyau infrangible auquel personne ne pourrait jamais accéder. J’y crois de toutes mes forces.
Vade Retro Altruis !
Tous ces trous,
tous ces vides,
toutes ces lézardes
infâmants
honteux
répugnants
révoltants
à vomir
de soi-même,
je les remplis,
je les complètent
jusqu’à ras-bord
de mon plaisir
de ce qu’on ne me vole pas,
de ma satiété
de mes hauts le cœur,
de ma faim aussi.
Vade Retro Altruis !
Elle aplanit le terrain, elle écroule les reliefs. Plus de hauteurs, plus de canyon ni de crevasses. Tout est sous contrôle.
La goinfrerie remplit les trous de sa concrétude, rehausse le niveau du sous-sol, à coups de grandes et lourdes pelletées dans tous les interstices. Tout est sous contrôle. Mais bancal cette fois.
La faim c’est l’assurance, le nivellement par le moins. On ne peut pas descendre plus bas, il n’y a rien qui menace en-dessous. On est ancré au sol. Elle ne trompe pas.
Le reste, je ne m’y fie pas et pourtant j’y recours sans penser, par panique de me voir prise d’assaut et de devoir réagir tout de suite, pour ne pas gonfler de vous, m’hybrider de vos êtres, me noyer dans vos couleurs.
M’oublier.
Me trahir.
Vade Retro Altruis !
J’ingurgite, j’engloutis, j’avale avant d’être happée.
J’avale pour annuler ce que j’ai aspiré de vous.
J’avale pour occuper les trous.
Vous avalez ce que je montre, ce que je laisse immobile mais nourri.
Il me faut tout mouvoir, vous surprenant de bout en bout
et avaler pour ne pas être volée, conquise, colonisée, contaminée,
par vos univers.
Et je deviens un ogre
une gloutonne
une bonbonne.
J’ai fait fuir l’Altruis.
Mais aussi l’Egoïs.
La faim le retrouvera,
pelotonné
et humilié
dans les sphères intangibles.
La faim me sauvera.
Et le cycle infernale reprendra sa grande roue.
La vie de grandes marées.
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