En lectrice pointilleuse, un peu obsessionnelle, j'ai prêté une grande attention à ne pas m'attendre à quoi que ce soit de ressemblant aux Harry Potter. Bien m'en a pris.
J'ai retrouvé avec plaisir la fluidité de la narration et le naturel des dialogues que je connaissais de JK Rowling. Rapidement, cependant, cette souplesse m'a bercée jusqu'à m'ennuyer. Non pas un ennui angoissé, existentiel comme cela peut être face à certaines lectures, ardues, qui confrontent. Un ennui tranquille dont j'aurais pu me contenter, un confort évident. Mais je suis dérangée par trop de confort en matière de lecture. Je m'impatiente prête au caprice, j'accélère le rythme pour compenser ma frustration. Le sens de mon activité se perd, se vide. Je me vide alors que j'avance les mots. Ils ne s'accrochent pas, ils ne sont pas tenaces et je ne le suis pas davantage. Pas envie, pas besoin. Le mécanisme marche sur la réserve.
Alors arrive l'instant où je m'arrête et se pose la question. Une question qui va et vient depuis que je sais lire, depuis le début, quand j'ai compris que là serait dorénavant mon refuge, ma véritable nourriture, celle qui apaiserait tous mes remous internes.
La question est la suivante : lire est-il exclusivement plaisir ?
Plaisir entier ? N'est-il pas aussi un labeur ? Un labeur satisfaisant et accomplissant ? Quel que soit le moment et le lieu, lire ne m'est jamais exclusivement plaisir. Comme tout humain, je contrôle tout mon être, corps et esprit, pour me concentrer sur cette tâche cérébrale. J'accepte les frustrations que cela implique inévitablement. Je vais puiser dans mes ressources profondes pour suivre les lignes et les phrases. Je sais et sens que j'ai appris à lire et que j'ai acquis une compétence qui n'était pas programmée. Chaque fois que je me mets a lire, je sens combien cet enchaînement d'actions est un effort, une victoire. Chaque fois, je me sens capable et puissante, ayant dépassé le minimum animal. Je me sens moins inutile et moins fragile. Ou plus maligne. Comme si j'avais réussi à retourner le gant en parvenant à faire de mes plus tragiques failles ma valeur. Cela ne vaut qu'à mes propres yeux et je sais que nombre de mes congénères qui en ont la possibilité n'apprécient pas la lecture. Aussi étrange que cela me paraisse, pour cette fois et cette seule fois, mes propres yeux me suffisent. Cette valeur n'a pas besoin des autres. Tout simplement parce que d'elle dépend ma survie. Non pas ma survie en tant que chair et cœur. Ma survie en tant qu'être psychique. Elle n'est pas moindre, comme chacun sait, et compte tout autant quant au risque de mort.
Sachant tout cela, après ces méandres fort intestins, je suis désemparée devant le livre étonnement facile et sympathique. Les livres ne sont pas sympathiques. Ils sont comme les parents. Pas faits pour être des copains, nos égaux, on se dit tout. Les livres, je les aime quand ils me font violence, quand ils me mènent quelque part, qu'ils me poussent parfois malgré moi à ouvrir certaines portes et à en fermer d'autres. Je ne les aime pas davantage quand ils sont agréables et bien élevés. Je ne les aime pas d'être sans histoires. Je les aime rebelles, mesquins, brutaux, calculateurs, narcissiques, décalés, déjantés, déboussolés, désespérés, détesteurs, hargneux, ironiques, cyniques, burlesques, gargouillants, pudiques ou déballage. J'aime quand ils ne me laissent pas en paix, qu'ils me tendent ce miroir que je ne peux pas toujours moi-même gardé en main. Qu'ils reflètent, font tinter tout ce qui bouillonne en moi. Que je dois aplanir, pour être comme il faut et à peu près normale. J'aime qu'ils me fassent frissonner. J'aime leur folie. Leur absurdité. Leur imagination. Leur liberté. Ils me font sentir libre, à défaut de l'être. Et grâce à eux, j'en prends mon parti.
Alors non, je ne suis pas encline à me contenter d'un livre tranquille. Je n'ai rien à en dire, ni dans les aigus ni dans les graves. Sympathique. Et je n'ai pas bougé d'un pouce. Ou si, d'un mini pouce parce qu'il y a toujours quelque chose à soutirer de tous ces mots. Ils ne peuvent être vains. J'ai sans aucun doute passé des moments douillets, et ce n'est pas rien, je vous l'accorde. Mais ce n'est pas des livres que j'attends cela. M'apaiser et m'entraîner oui. Certainement pas me cajoler.
Je n'ai pas abordé l'affaire de l'esthétique. Peut être parce que je ne sais toujours pas quoi en penser. Mon avis change d'année en année sur le sujet. Et je ne sais plus à quel saint me vouer. J'ai longtemps affirmé que sans souci esthétique essentiel, un livre comptait pour presque nul. Je me suis reprise de ces élans idéaux d'adolescente. Notamment à la lecture de romans policiers. Alors, bien sûr, quand je perçois le désir esthétique au sein des pages que je tourne, je plonge et je cherche, pour apprendre et comprendre toujours plus. Pour ouvrir une énième porte, une énième lucarne que j'avais omise. Le spectacle ne varie pas, c'est la lucarne qui me déplace et me dévoile. Mais tout livre n'est pas une œuvre d'art et c'est aussi là leur richesse. Cette plasticité qui se donne à tous les goûts.
Une place à prendre n'est pas un livre pour moi. Je ne suis pas contre, je ne suis pas pour. Je ne le jetterai pas. Mais le garderai-je ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire