mardi 23 mai 2017

Autiste

Patate ne sait ni comment ni qui être. Ne sait pas comment faire, quels outil, ou même quel outil. Un seul, elle s’en contentera. Ne sait pas comment marcher, comment courir, comment même se tenir, comment rester debout, assise, couchée. Pas de mode d’emploi, pas de règles, pas de liste, elle ignore, vide. Elle suit les mouvements, des autres, elle moutonne, elle n’a pas de choix, pas appris, personne pour la guider, pas même une pauvre conne de canne, personne n’a pensé, tout le monde a oublié, de lui dire comment. Et pourtant, jamais comme il faut ! Pourtant, il faut ceci, il faut cela. Pourtant, critiques et peut mieux faire, toujours et encore. Patate ne comprend pas. Patate est perdue, en permanence. Patate n’est pas seulement perdue, une petite seconde et zou ! C’est reparti comme en quarante. Pas du tout ! Non non non ! Vous vous plantez sur tout la ligne mes bons Messieurs Mesdames. Pas une minute non plus. Pas plusieurs. Non bordel de merde ! Vous ne pigez rien ! Perdue du début à la fin de la journée. Perdue, pauvrette, hagarde, toujours en faire semblant. Sinon, c’est la fin. Sinon, les pairs lui tombent dessus. On déteste les ignorants totaux, des  gogoles dit-on. Patate est de ceux-là. Ne peut se permettre de dévoiler sa tare. Doit porter le masque du matin au soir. Mais, pourtant, toujours quelque chose à redire. Pourtant, ce n’est jamais comme ça qu’il faut. Patate se plie mais ne rompt pas. Elle poursuit la quête. Elle tente d’apprendre. Souvent se dit que c’est trop tard. Trop tard pour apprendre ces choses-là que tout le monde sait. Désespère. Se lamente. Ça ne fait pas avancer le schmilblick. En fait, Patate ne sent pas mais elle apprend, tout petit à petit. Mais trop petits pas pour son grand appétit, elle ne voit rien, elle peste et croit toujours tout recommencer de zéro. On lui dit Pas comme ça ! Mais non ! Et surtout on rit... Elle se retourne exaspérée. Elle lance un profond regard noir. Et l’on rit aussi de cela. Elle les étranglerait. On se moque, on se moque... Ils verront bien un jour. Un jour oui, Patate se dira cela. Mais pas encore. Pas encore, elle se recroqueville de honte pour le moment. Patate pense qu’elle est autiste. La définition lui correspond. Comprend pas comment faire. Pourquoi dire bonjour ? Pourquoi ci et ça ? Les autres font ça comme si nés avec. La nature est injuste et la vie est une pute. Elle n’ose pas encore, pas encore mais viendra le moment où, n’ose pas encore insulter la vie. Elle veut disparaître. Elle veut se cacher, le plus loin possible, le plus fort possible. Ne plus rien entendre, ne plus rien essayer. Ne plus supporter tous ces Il faut Tu dois qui la piquent sans cesse, qui lui disent combien elle se rompe, combien elle ignore, combien elle est faible et creuse. Tous ces ordres, sans queue ni tête, se contredisent, courent dans tous les sens. Elle a le vertige. Elle doit choisir son camp. Elle est la balle au centre et chacun y va de son pied, de sa main, de sa pâte. Patate n’est qu'une grosse pâte informe qui pense, qui réfléchit très fort, bien trop fort, avec son infirmité. Déséquilibrée. Embryonnaire alors que depuis longtemps sortie à l’air libre. Pas finie en somme. Vraiment humaine ? Qui sait...

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