mardi 16 mai 2017

Déception légumescente : Patate veut hurler

Finalement, Patate ne tint pas beaucoup plus longtemps. Il ne se passe rien dans cette famille, chez Petite Poisse qui retienne l'attention. Tout y est désespérément normal. Elle espérait autre chose. Elle espérait beaucoup. Sans doute beaucoup trop de cette expédition-là. Elle espérait la voir souffrir la petite enflure de PP. Elle voulait assister à la vengeance qu'elle ne saurait jamais mettre en œuvre. Elle voulait voir que le monde est juste parfois. Que les choses s'expliquent. Elle y aurait trouvé un sens. Elle n'avait constaté qu'une cruelle banalité dans ce couloir. Elle était déçue comme rarement elle l'avait été jusqu'alors. Elle avait mis en branle ses aventures nocturnes avec vie et espoir. Elle avait misé sur leur force signifiante. Elle se heurtait à un vide de sens notoire.
Elle rentra chez elle, après un long détour qu'elle fit pour se calmer. Cela s'avéra parfaitement inefficace. Elle était hors d'elle. Elle voulait hurler que puisque c'était ainsi, on n'avait plus qu'à se flinguer, puisque même les plus mauvais d'entre les hommes étaient à l'abri du malheur, puisque même une Petite Poisse grande sadique dans son corps minuscule, ridicule et mesquin menteur ne payait pas pour ses forfaits. On avait donc le droit de maltraiter les autres sans être affligé d'aucune sanction. On avait donc le droit d'être répugnant de malhonnêteté et de vivre tranquillement. Franchement ? Patate l'aurait tuée après cette visite secrète. Elle l'aurait étripée de rage. Elle lui aurait arraché les yeux des orbites, histoire de lui faire expérimenter la cécité de son cœur. Elle aurait fait des tas de choses si elle en avait eu le courage. Mais Patate était une faible. Une de ceux qui se taisent malgré leur rage, leur haine et leur douleur. Qui se retiennent toujours. Et dont tout le monde ignore l'ampleur de l'ire jusqu'au jour où. Ce jour où tout bascule et où ils sont tous là, comme des bêtes, bouche bée, à regarder se métamorphoser en monstre fascinant celui ou celle qu'ils ne voyaient pas ou seulement quand ça les arrangeait. L'être-objet qui devient monstre et qui laisse ses anciens pairs pantois et apeurés. L'être-objet idiot, pris au milieu du cercle et balancés de mains en mains comme un vulgaire ballon. Cet être-là dont personne n'ose imaginer l'âme et les tourments parce que chacun sait, tout au fond de lui, aussi jeune qu'il soit, que le spectacle sera bien pimenté, et qu'il brûlera jusqu'au creux des entrailles. Alors tout le monde prend le chemin inverse de cet esprit, s'en éloigne le plus possible, lui qui aurait bien sûr davantage besoin que quiconque d'être regardé et entendu, et ce tout le monde se poste et s'enfonce bien fort face à lui ou derrière, c'est encore mieux, et l'attaque pour ne jamais s'en approcher autrement, pour ne jamais lui laisser la manœuvre, pour ne jamais risquer d'être touché et cramé jusqu'à l'os, tout le monde couard, tous découillus et indignes du genre humain. Ce tout le monde se pisse dessus en voyant sa plus fidèle victime, la plus sûre, bien à sa place qui ne bouge pas, trop habituée à son statut, se redresser et lever le bras de la vengeance. Il a peur, tout le monde, de se faire guillotiné comme il le devrait. Mais il ne sait pas que l'être-objet a l'âme fière et qu'il ne s'abaissera pas à ses coups de poignards et autres tortures à lui, tout le monde. Il n'est pas de ce pain-là, le monstre nouveau-né. Et tout le monde finit par crever, non pas de ses blessures, hémorragies et autres causes triviales. Il finit par être malade de honte. Et il en mange toutes les secondes de ses journées. Le temps de la leçon.
Mais ce jour-là, la métamorphose, était loin d'arriver encore pour Patate et elle se contenterait le lendemain, comme tous les jours de sourire et se cacher quand il sera nécessaire. Se cacher pour pleurer comme une petite fille qu'elle ne parvient pas à faire grandir, qui ne laisse pas sa colère arriver. Et qui s'en prend à elle-même de son impuissance. Impuissance apprise, imprégnée. Imbibée d'impuissance. Morte-née, née morte. L'impuissance est la mort.
En rentrant chez elle, Patate se demande à quoi tout cela sert. Elle marmonne avec hargne que rien n'a de sens et que rien ne vaut la peine. Elle laisse tomber. Elle lâche la barque. Elle n'est plus du voyage. Et elle sait pourtant qu'elle recommencera à chercher dès le lever du jour, dans quelques heures. Elle sait qu'elle ne pourra pas s'en empêcher, qu'elle devra retourner au charbon, poussée par une énergie immuable qui l'habite. Elle voudrait s'en atrophier parfois. La tuer dans l’œuf, la vomir pour cesser. Pour faire cesser les choses. Mais c'est impossible. Il y en a toujours en réserve. Les autres ont l'air de trouver ça bon signe. Elle trouve ça inquiétant. Elle est frappée de plein fouet, elle sanguinole, et la voilà qui repart en sautillant. Elle ne se sent pas normale. Elle sait qu'elle n'est pas normale.
Folle.

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