samedi 12 août 2017

CHez Haricotte (suite)

Haricotte habite au rez-de-chaussée d'un petit immeuble, résidence sans charme, sans danger, sans vie. Pitay s'en fout complètement de tout ça. Elle observe et passe à autre chose. L'important c'est ce qui se passe à l'intérieur, dans le foyer. Elle va devoir sans doute rester dehors. Aucune importance. Elle n'a plus froid. Patate avait froid. Pitay n'a déjà plus froid. Pitayak sera chaude, peut-être... La chaleur. A voir...Pitay s'installe dans un petit coin, entre le mur et un fourré, fourré genre planque de pervers et exhibitionnistes. Il est vide pour le moment. Elle éjectera quiconque voudra lui voler sa place. Elle frappera. Elle n'a plus peur de frappera. Elle dégagera avec forces et fracas, tout ce qu'elle n'a jamais osé faire, en plus avec avec un de ces dégueulasses libidineux pourris de la moelle au plus petit noyau du cerveau.
Pitay, tiède, se cale très confortablement dans son petit coin. Elle est bien. Pas seulement l'excitation et l'envie de savoir, de comprendre. Aussi, un vrai bien-être. Un confort presque et c'est une sacrée découverte pour Pitay. Pas d'insoutenable tension, pas de crispation latente parfaitement continue, pas de douleur, le ventre, le dos la tête sont tranquilles. Elle est assise et respire profondément l'air froid de la nuit. Elle fait partie du monde. Elle appuie sa tête contre le mur et attend. Là aussi, elle est juste en-dessous d'une fenêtre. Elle ferme les yeux et écoute. Elle a l'oreille fine. Tant mieux. Mais de toute façon, elle n'en aura pas tant besoin que cela, le père est une grande gueule, de bac à sable mais grande gueule quand il est entourée de ses femmes. Parce qu'il n'a que des femmes autour de lui. Il aime ça, il se sent fort. Il n'a pas besoin de le dire. Le ton de sa voix le crie à tue-tête. Toute la famille regarde la télé ce soir. Pitay suppose que personne n'a vraiment le choix. Il n'y a pas beaucoup de paroles mais elle sent une pression exaspérante qui se dégage du peu qui se dit. Patate l'avait déjà observé. Un truc malsain, pas normal. Elle a du mal à contenir sa colère. Eh ou, elle monte déjà. Elle ne va pas être déçue...
« Bon, les gonzesses là, on regarde quoi maintenant ?
  • Sais pas.
  • Ben non, toi tu sais pas, tu sais jamais. Et toi Navette ?
  • Je suis fatiguée. Envie d'aller dormir.
  • Oh ! Sympa pour nous. Tu t'ennuies avec nous ?
  • Non, je suis fatiguée Papa. Le collège toute la semaine, j'avais pleins de contrôles.
  • Oh pauvre bichon ! Ceux qui bossent ici c'est Maman et moi hein. Il faudrait pas inverser les choses quand même ! T'es en 6ème. Il va falloir t'aguerrir un peu hein !
  • Bref, et toi Poireautte ?
  • Moi je veux encore la télé !
  • Bon, en voilà une enthousiaste au moins. Mais pas tes trucs débiles hein ?!
  • C'est pas débile.
  • C'est débile, tout le monde est d'accord.
  • Arrête chérie, c'est de son âge.
  • Eh ben c'est débile quand même. Peut-être que son âge est débile. Arrête de toujours les défendre tes petites chéries.
  • Je relativise ;
  • C'est ça, tu relativises. Super !
  • Bon, on n'est pas plus avancé. Tiens, mmmmh, ça c'est très bien.
  • C'est interdit aux moins de 12 ans Patrick.
  • Oh hé ! C'est pas des chochottes. Et puis, de toute façon l'autre elle va s'endormir et la petite elle apprendra plus vite comme ça. C'est pas le mieux ok mais j'ai envie de ça ce soir. Je suis crevé.
  • Franchement Papa, moi j'aime pas du tout ce truc.
  • Et pourtant tu es la seule qui a l'âge de le regarder Haricotte. C'est le monde à l'envers. Les enfants sont étranges quand même.
  • Bon, on met ça et basta.
  • Je vais me prendre un bouquin et rester à côté de vous ok ?, demande timidement la mère de Haricotte.
  • Oh mais vous le faites exprès ou quoi !? On ne peut pas être bien tous ensemble ! Ces bonnes femmes !
  • N'exagère pas !
  • J'exagère pas. C'est chiant !
  • Patrick !
  • Oh c'est bon, elle a déjà entendu ça 100 fois à l'école la petite.
  • Oui mais tu es son père.
  • Et ?
  • Montrer l'exemple, ça te parle ?
  • Oh oh ! Tu me parles sur un autre ton. L'exemple de quoi ?
  • Bon, tu veux pas discuter, c'est ton problème.
  • Allez les filles, c'est parti.
Des pleurs se font entendre au loin.
  • Encore ton fils qui chouine. J'y vais.
  • Non c'est bon, j'y vais, tu es fatigué.
  • Tu veux pas que je m'en occupe oui ! Tu as peur que je fasse les choses mal.Ne me prends pas pour plus bête que je ne suis. Après tu diras que je ne fais rien à la maison.
  • Je ne dis jamais ça. J'y vais.
  • Haricotte ?
  • Oui
  • Tu as eu combien à ton contrôle de maths de la semaine dernière finalement ? Maman m'a dit que ça avait été dur. Des exercices jamais vus.
  • Oui
Haricotte est en confiance.
  • et alors raconte ?
  • Eh ben j'ai fait ce que j'ai pu. Le prof nous l'a rendu hier. J'ai eu 10.
  • 10 !
  • Tu ne pouvais pas faire mieux ?
  • Vraiment c'était dur. La meilleure note c'était 11 et même le prof a dit qu'il avait vu un peu trop haut.
  • Pas de ça ! Si tu veux tu peux et c'est tout. 10 ! non mais c'est nul ! Et pourquoi tu n'as pas eu la meilleure note ? Pourquoi ?
  • J'ai fait le max Papa. J'ai pas réussi. Mais je t'avais prévenu.
  • Eh ben, si c'est ça ton max, t'es pas sortir dans la vie toi ! Allez va travailler, je ne veux plus te voir sur ce canapé. Et demain et dimanche aussi.
  • Mais...
  • Dépêche-toi !
  • ...
  • Savent pas travailler ces gosses.
La mère revient.
  • Où est Haricotte ?
  • Tu savais qu'elle a eu 10 à son contrôle de math ?
  • Oui.
  • Et tu ne m'as rien dit ?
  • Parce que tu te serais dans cet état alors que ce n'est qu'un 10. Elle est toujours au-dessus de 15. Elle a flanché, ça nous arrive à tous.
  • Et puis après, elle devient vraiment nulle et ne fait rien de sa vie, bonniche à la maison avec un mari débile ;
  • Elle est où ?
  • Dans sa chambre, elle travaille ses maths jusqu'à dimanche soir.
  • Patrick !
  • Pauvre Cocotte...
Poireautte pleure.
  • Pas tes oignons toi. Tu es trop petite pour comprendre alors tais-toi.
  • Calme-toi un peu Patrick.
  • De toute façon, tu dis toujours le contraire de moi, j'ai l'habitude. Je suis le méchant qui a toujours tort. Bientôt, je maltraiterai mes enfants. Non mais !
Pitay est effarée. Elle ne l'avait jamais vue comme ça. Il est kiné. Elle est déjà allée à son cabinet et il a été très bien avec elle. Elle n'était pas à l'aise mais il n'y était pour rien. Il a fait son job. Il avait été plutôt rigolard d'ailleurs. Et elle avait moins mal après. Il l'avait bien aidée. Mais là, l'enculé ! Elle ne trouve pas d'autre mot. Elle est outrée. Elle a envie de le défoncer. Mais il est très costaud.
Elle ne pourra pas garder ça pour elle. Elle ne pourra tout simplement pas. Elle devra en toucher un mot à Haricotte. Elle devra prendre son courage à deux mains mais elle devra le faire. Elle le fera d'ailleurs même sans le vouloir. Ca sortira tout seul. On ne laisse pas faire ça. Patate aurait sans doute laisser faire même si elle se serait débrouiller pour faire comprendre qu'elle était là pour aider et écouter. Pitay ne s'en tiendra certainement pas là. Elle va agir. Elle a déjà deux bonnes idées en tête.
Elle sort de son buisson et cherche sur le parking la voiture de Patrick, l'enculé du jour. Elle devient décidément vulgaire ! Enfin sans doute. Elle est là ! La plus laide de toutes. Ridicule. Elle aurait dû se douter avec une bagnole pareille qu'il y avait quelque chose qui clochait chez cet homme. Elle se dit qu'elle n'a qu'entrevu la partie émergée de l'iceberg. Il doit pouvoir aller loin, à l'abri de tous les regards. Elle s'accroupit, sort son couteau suisse et le plante soigneusement dans un premier pneu. Le plaisir est intense. Presque une jouissance. Elle a chaud Pitayak. Elle se prend au jeu. Il va payer. Et de deux ! Trois ! Quatre ! Il va devoir payer. Cher. Et demain, il va tomber de fureur. Espérons que tout le monde soit hors de portée. Pitayak est en marche. Prochaine étape dans quelques jours. Tu n'en as pas fini avec elle, Patrick Connard.
Elle repart, le cœur franchement lourd. Patate et Haricotte fait parti du même lot. Elles ne se le disent pas, bien évidemment. On ne fait pas de clan de victimes légumescentes. On demeure dans l'idée que le lendemain sera meilleur, plus réussi, plus costaud et qu'on saura répondre ou moins encore que cela, qu'on ne fera aucun faux pas, qu'on ne sera pas le joujou du jour. On espère et on ne fait rien. Juste on sert les fesses. Haricotte ne peut même pas desserrer les siennes, une fois arrivée chez elle. Droit à aucun répit. Couche-tôt ? Qui ne le serait à ce compte-là ! On est vendredi donc elle a eu de la chance, elle avait pu tout voir. Un autre jour, à 23h00, Haricotte aurait été couchée depuis une bonne heure. Elle le sait de l'intéressée elle-même. Vraiment, elle aime bien Haricotte. Mais qui aime les miroirs trop réalistes ? Qui a quinze ans et supporte de plonger les yeux dans ses propres plaies béantes devant lui, sur un autre corps terriblement semblables ? Qui donc ? Pitayak le pouvait désormais.

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