Elle
lâche la bête. Elle ne sent plus son corps se mouvoir. Plus comme
d'habitude. Elle ne sent plus l'effort et l'intention qu'elle met
chaque jour dans chaque geste ou presque. Parce qu'elle a peur de son
corps et de toutes ses maladresses. Elle le contrôle durement, en
permanence. Il a trop failli, il lui a fait trop honte. Elle doit lui
serrer la ceinture. Patate en a essuyé du dur, du douloureux avec ce
corps impraticable, presque pas le sien, ce corps, depuis toujours,
toute petite, qui ne lui obéissait pas, même quand elle est
largement en âge de le tenir en respect. Mais son corps à elle ne
se tient pas en respect. Son corps à elle est un sauvage qui traîne
où il veut et saute ou s'abat quand il le sent lui-même, sans lui
demander si cela est admis convenable, conforme à ses désirs à
elle. Soyons vulgaire ! Il s'en branle le coco de ce qu'elle
pense elle. Il s'en branle et rebranle ! Il fait ce qu'il veut,
il veut qu'on lui lâche la grappe. Patate a dû supporter cela,
croyant, toujours la foi, en une fatalité contre laquelle elle
n'était pas de taille. Foutaises ! Elle y croyait dur comme
fer. Bien sur, est-ce la peine de le préciser ? Patate a fait
avec et a crevé de dégoût. Mais Pitay n'est pas prête aux mêmes
sacrifices. Elle ne laissera pas son corps être un autre. Ils seront
un, il sera son bon toutou si besoin. Mais en réalité, dès qu'elle
a laissé Patate derrière elle, Le corps s'est entremêlé à ses
désirs et à sa vérité invisible. Pitay est d'un seul bloc et les
ailes lui poussent. Elle ne s'en était pas rendu compte jusqu'à cet
instant-là ou plutôt jusqu'à après ce moment-là. Parce que là,
elle perd pied tout de même. Et elle laisse le corps et sa violence,
celle qu'elle a toujours crainte, prendre la main.
Elle
ne voit plus que le corps de Patrick, de tous les autres, en gros,
comme sous une loupe. Ils sont énormes. Ils l’écœurent. Ils
méritent de disparaître, d'être battus pour leur énorme facilité,
leur nullité, vanité.
Elle
sent son corps s'agiter et sortir ce qu'elle n'avait jamais vu
auparavant : cette force, celle de la colère, ou même de la
haine. Elle s'acharne mais elle ne le sait pas. Piment a la tête sur
les épaules et elle finit par la maintenir pour l'écarter du corps
du bonhomme. Elle est bien, elle est libre. Elle se sent libre, être
quelqu'un. Elle est quelqu'un, là maintenant. Elle existe et
personne ne peut l'en empêcher. Elle est plus forte que ceux qui
voudraient l'en empêcher. Elle se débat d'abord quand Piment la
coince en l'éloignant. Puis elle se clame. Piment lui ordonne de
respirer. Vite, elle reprend ses esprits. Mais elle est groggy. Comme
beurrée.
Patpat
est dans un sale état. Et Pitay n'éprouve aucun remords. Il a eu ce
qu'il méritait. Et surtout elle s'est sentie vivante, elle dans son
corps, tous les deux en un seul, vraiment, sans faux-semblant. Il n'y
avait plus aucun faux-semblant. La pureté.
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