vendredi 25 août 2017

Enfin dans le vrai !

Elle s'arrête dans la rue. Elle est debout, elle se pousse près du mur parce qu'immobile comme ça, elle dérange ceux qui veulent marcher vite, ceux qui vont au travail, en fait. Un réflexe. Elle ne veut pas faire chier le monde pour le plaisir. Elle ne dit pas qu'il n'y a pas de plaisir dans le fait de faire chier. Mais pas tout le monde. Seulement ceux qui sont allés trop loin. C'est violemment subjectif que cette évaluation-là. Mais désormais, elle ne pense plus à être rationnelle, intéressante et intelligente comme Patate. Elle ne veut pas être juste, être précise et nuancée à l'aune de la réalité et de la foutue complexité humaine. Elle veut agir et suivre ce qu'elle ressent. Elle laisse ce qu'elle ressent prendre le dessus et la guider. Elle n'avait jamais osé. Mais elle y plonge. C'est véritablement délectable. Bien sûr qu'elle ne laisse pas tomber les désirs de comprendre et d'aller jusqu'au cœur des choses, avec toute la perplexité qui en résulte, inévitable et désespérante souvent. Peut-être fascinante aussi. Qui fait se sentir petit, en tous les cas, et la légumescence n'aime pas ce sentiment-là. Patpat n'est pas le pire qu'elle ait rencontré. De loin pas le pire. Mais il faut bien commencer par un. Elle ne peut plus supporter. Elle suffoque à l'idée d'avaler encore toutes ces couleuvres. Elle en vomirait aujourd'hui. Elle n'est plus de taille. Elle s'aperçoit pour l'absolue première fois que Patate détenait cette force incroyable. La force du sacrifice, de la patience infinie. Et parfois, c'est un don qui paye. Pitay n'a tout de même pas perdu tous ses neurones, elle sait que ce don-là évite aussi les grosses conneries. Elle n'est plus Patate et ce don. Elle explose. Elle passe à l'acte. Elle n'a plus de compassion ni de bienveillance. Il en manque beaucoup trop cruellement en face d'elle.
Elle passe la journée à ne rien faire réellement. Elle n'a ni froid, ni faim, ni soif. Elle attend le soir.
A 22h exactes, Piment est là, à côté d'elle. Elle ne l'a pas entendue arriver. Piment est féline. C'est encore plus flagrant de nuit. Elles se sourient sans un mot. Elle savent comment faire sortir de son trou ces gros lourdauds-là. Ils ont la hargne facile. Elles vont le harceler et il descendra de son petit nid douillet. Elles montent à pas feutrées. Pitay montre la porte à Piment et redescend. Deux dans l'escalier à courir en trombe, c'est bêtement risqué. Pitay attend de voir Pitay tout en bas. Elle sonne et dévale l'escalier. Elle court comme la féline dont elle a l'air. Aussi bien. Aussi beau. Pitay lui ouvre la porte. Elles entendent quelqu'un ouvrir la porte en haut et dire « Ben y a personne Papa ! » Elles attendent qu'il rapplique mais non. Ce n'est que partie remise. Elles attendent 5 minutes. Et rebelote. Cette fois, c'est Madame qui ouvre et râle un peu. Patrick qui a déjà accusé sa fille la fois précédente d'être une imbécile, n'hésite pas à insulter sa femme de la même manière. « La prochaine fois, c'est moi qui irai et ils verront ces p'tits cons ! », les deux filles crient et rient en bas de l'immeuble pour qu'il les entende. Il semble, mais elles n'entendent pas bien cachées à l'entrée dehors, qu'il peste et commence à s'échauffer en effet. Elles commencent à rire vraiment. Pitay est prise d'un fou rire, fou. Irrépressible. L'excitation, le sentiment de puissance, la tension de toutes ces années-Patate qui éclate dans ce fou-rire fou. Piment la regarde d'abord incrédule. Patate n'était pas du genre expansive. Elle ne l'a jamais vue comme ça. Elle se contient mais c'est trop contagieux et les deux filles s'y mettent ensemble. 5 autres minutes, Piment dit qu'il faut qu'elle retourne au charbon. Pitay a passé là, l'un des meilleurs moments de sa vie. Jamais elle ne l'oubliera, ni ce moment, ni Piment, ni la reconnaissance. Mais la reconnaissance n'est pas un sentiment très à la mode dans cette époque. L'une des seules choses sur lesquelles elle tienne bon est celle-ci : la reconnaissance. Elle ne dit rien mais, autant elle garde rancune des années, autant elle préserve aussi sa reconnaissance les mêmes années. Il n'y a pas de jalouse. Piment est remontée et après avoir sonné, entendant le pas plus lourd de l'homme s'approcher de la porte, elle reste à peine mais suffisamment visible comme une silhouette disparaissant dans l'escalier. Il ouvre et gueule : « Espèce de ptits connards, vous allez arrêter de nous emmerder à cette heure ! Sinon je vous attrape et vous verrez. » Les deux filles éclatent d'un rire sonore et ressortent se cacher. Elle se serrent l'une contre l'autre. Sans peur. Juste par précaution. La dernière, sans doute. Elle ne se parlent pas pendant 5 minutes. Elles se préparent pour la descente. Piment remonte invisible inaudible. Et resonne. Patrick est hors de lui. Il court presque, autant qu'il peut jusqu'à la porte et cette fois-ci dévale lui aussi les escaliers en chaussons. Mais il s'en fout tellement il est en colère. Il sort sur le pas de l'immeuble. Les deux filles sont là. Elles lui font face. Il n'en croit pas ses yeux. Il baisse la garde et sourit. Il ne voit pas leur visage, il fait trop sombre mais il ne peut que voir que ce sont des filles. Du moins l'une. L'autre c'est moins sûre. Mais dans l'ensemble, Patrick est un mec sûr de lui alors le doute fait long feu dans sa tête et la conclusion presque instantanée n'est autre que deux filles je ne crains rien. Ils restent tous les trois à se regarder sans rien dire. Puis Pitay se met à rire. Il ne le supporte pas. Il s'avance vers elle. Piment lui fait une balayette recherchée et férocement efficace. Il tombe à terre de son gros poids de tyran à deux francs. Il ne comprend plus rien d'un coup. Il est perdu. Le monde tourbillonne. « Ben oui mon gros, les filles aussi savent se battre. 
  • Petites garces.
Elles rient de plus belle. Il s'apprête à se relever mais Pitay lui assène un coup sans appel dans ses parties intimes pendant que Piment lui écrase la main en sautant à pieds joints dessus. Il crie de douleur. Il s'en mord les doigts et les lèvres. Du sang coule de sa bouche tellement il a mordu fort pour ne pas se faire entendre. C'est qu'il a une dignité notre homme ! Ce n'est que le début gros !
Et Pitay est alors prise d'une fureur incontrôlable. Elle ne rit plus. Elle le roue de coups. Elle frappe de toutes ses forces. Elle n'a jamais été gracieuse mais forte oui. Elle sait qu'il faut frapper au reins, au foie, au thorax. Elle lâche la bête.

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