mardi 1 août 2017

Pata-Pita ouvre sa gueule

Pata-Pita arriva à la Préfecture, combative. Elle rentre après avoir docilement ouvert son sac pour que le Monsieur vérifie qu'elle n 'ait pas, des fois on sait jamais, un bazooka dans son sac d'écolière. En plus, si on la regarde trois secondes, on voit qu'elle a des yeux de gentille. Ca ne l'énerve plus d'ailleurs. C'est bien la première fois ! Bref, elle entre dans le bâtiment et se renseigne à l'accueil. Elle déteste ça. Ca, ça n'a pas changé. Elle dit en substance à la dame qu'elle est perdue et qu'elle a besoin d'aide, chose terriblement humiliante, on en conviendra quand on a presque quinze ans. La dame en question est une connasse finie. Le sens de l'accueil lui est très propre. Pata-Pita passe son chemin sur cette énième femme d'accueil qui envoie chier le monde. Elle lui dira un petit mot en sortant. Elle sait où aller, c'est pour l'instant le principal. Elle prend l’ascenseur et parvient non sans erreurs à l'entrée du bureau qui la concerne. Je vous passe les détails techniques peu passionnants. Administration française, comme on la connaît tous. Pata-Pita s'assoit en attendant son tour munie de son ticket magique. Elle a très peur, soyons clairs. Elle ne sait absolument pas ce qui l'attend et craint la même amabilité voire pire que la fameuse dame d'accueil et bonne humeur. Elle attend, nerveuse, au moins vingt minutes. Un homme sort d'un bureau et appelle son numéro. Elle se lève. Il la dévisage de haut en bas et demande :
« Où sont tes parents ?
  • Je suis venue seule.
  • Tu es venue seule ?
  • Oui.
  • Pourquoi faire ? Tu ne peux pas faire de démarches seule.
  • Bon, rentrons ici mais c'est du temps perdu.
Les choses commencent mal. Mais Pata-Pita ne se démonte pas, cette fois-ci. Un peu quand même.
  • Alors, que veux-tu chère demoiselle ?
  • Cher Monsieur... je voudrais savoir comment changer de prénom.
  • Tu restes correcte s'il te plaît.
  • Je suis correcte. Vous êtes condescendant.
Patate a disparu. Pata-Pita a définitivement pris le contrôle. Et c'est beau.
  • Eh bien donc ! Condescendant ! Tu as treize ans et tu t'étonnes que je ne te vouvoies pas ?
  • Quinze demain et je me fiches que vous me tutoyiez.
  • Ok. Bon, c'est pour quoi exactement ?
  • Changer de prénom.
  • Changer d'état civil ?
  • Oui (sans conviction, elle n'est pas sûre de comprendre ce qu'il dit.)
  • Eh bien, chère Madame, ce n'est pas ici qu'on fait cela.
  • C'est à la mairie maintenant.
  • Quelle idée ! Tu en as parlé à tes parents ? Ce sont eux qui vont devoir payer ça ! Chaque lettre coûte un bras !
  • Ok . Merci. Bonne journée jeune homme.
Le vieux reste comme un gros lourdaud dans son fauteuil trop étroit pour ses fesses de bibendum. Elle l'entend pester alors qu'elle s'éloigne. Elle s'attendait à être prise de haut. Elle ne s'est pas tue malgré son stress. Peut-être grâce à lui pour une fois. D'habitude, enfin lorsqu'elle était Patate, la peur la figeait et lui empâtait la langue comme une grande gigue (elle n'est pas grande mais elle se sentait géante imbécile) et elle restait les lèvres serrées, parfois même un sourire de honte lui montait aux yeux. Elle avait envie de pleurer dans ces cas-là, et ensuite, une fois sortie du bourbier, elle avait envie d'arracher Patate, de l'encastrer et d'en finir avec elle. C'est chose faite et elle pourrait presque avoir un orgasme si elle savait à quoi cela ressemblait. On n'a pas d'orgasme quand déjà on survit. Elle redescend voir Dame Sourire et elle-même s'amuse d'avance. Elle est galvanisée par sa conversation avec Professeur Connard, là-haut. En plus, elle a les informations qu'elle souhaitait. Cela reste l'essentiel. Non ! C'est ce que n'importe qui se dirait, mais ce n'est pas là l'essentiel. Ce qui se passe aujourd'hui est bien plus essentiel. Elle rend coup pour coup. Au fond, peut-être même encore davantage mais elle ne le sent pas. Elle a trop, excusez-nous mais pas d'autre expression possible ici, fermé sa gueule. Elle a une grande gueule pleine de crocs et de mots acerbes maintenant. Quand il le faut, espérons-le. Sinon, elle deviendra enragée et alors...on pique les enragées. Elle se rend compte aussi, d'un coup, flash dans l'ascenseur, que son nouveau look n'est certainement pas pour rien dans l'agressivité masquée de ses interlocuteurs. Patate était plutôt bien accueillie, même si prise pour une toute petite, toujours moins que son âge. On restait relativement agréable, au pire polie avec elle. Elle ne faisait peur à personne. Personne n'avait rien à craindre d'une petite légumescente prénommée Patate qui parle tout bas et baisse les yeux, habillée comme toutes les autres, encore plus invisible.
Elle se dirige vers le comptoir vide de Dame Sourire :
« Bien le rebonjour, vous me remettez ?
  • Qu'est-ce que tu veux ?
  • Oh rien. Juste te dire que c'est pas joli de mal parler aux gens, surtout quand on est Dame d'Accueil.
Elle fait des guillemets dans l'air. L'autre s'enflamme d'un coup.
  • Non mais pour qui tu te prends sale gosse ?
  • Je t'aide à améliorer tes performances professionnelles … euh (Pata-Pita se penche et regarde son badge pour obtenir le prénom de Madame) Gisèle. Oh merde alors ! Tu t'appelles vraiment Gisèle ?
  • Sors d'ici morveuse !
Elle crie. Un collègue ou responsable, Pita-Patay ne sait pas, accourt. Il semble avoir l'habitude.
  • C'est rien Monsieur. Je m'en vais. Mais dites à Gisèle de faire un peu de yoga. Pour le sourire et les nerfs. Elle a vraiment besoin.
Il ne peut s'empêcher de sourire même s'il se mord les lèvres.
  • Allez, sortez Mademoiselle. Bonne journée.
  • Au revoir Monsieur. Bonne journée à vous.
Et Pata-Pitay sort sous le regard rigolard et bienveillant du fameux Monsieur. Gisèle est en train de s'étouffer. Sur la route. Pata-Pitay va peut-être croiser les pompiers.

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