Pitay
veut être là le lendemain matin pour assister au drame. Elle se
découvre un goût pour la colère, la sienne et celle des autres.
Elle va rire. Peut-être un plaisir tout à fait sadique à cela,
mais sans se l'avouer, elle ne se le reproche pas. Le Patrick ne
mérite que cela. Il ne reste plus beaucoup d'heures à attendre.
Elle n'est pas adepte du camping ni bien habituée aux installations
de fortune, mais elle peut dormir un peu n'importe où. Ce n'est
jamais un sommeil bien lourd mais elle dort. Ca reste le principal.
Pitay a l'habitude de ne pas trop en demander à la vie, elle a moins
de chances d'être déçue et blessée. Mais Pitayak saura peut-être
se montrer gourmande, sait-on jamais. Elle va s'installer sur le
dernier palier de l'immeuble, sans appartement desservi. Elle y sera
tranquille. Elle n'a qu'à se rouler en boule pour se sentir
confortablement installée. Elle n'a pas besoin de coussin ou de
couette de plumes de canard. Se pelotonner lui suffit à sentir la
chaleur se faire et s'étendre en elle, l'habiter et l'assoupir tout
doucement, sans la trahir pour autant. S'il le faut, elle pourra
s'alerter. De toute façon, elle se réveillera dès qu'elle entendra
une porte claquer. Elle le sait. Elle sera excitée comme une puce,
aussi, il faut bien le dire. Elle n'a jamais rien vandalisé ni
détruit, ni même cassé sciemment. Patate n'a jamais pu faire ça.
Patate retenait tous ses gestes. Tout était modéré. C'était
avant. Elle va pouvoir se frayer son chemin désormais. Et la fin
justifiera les moyens.
Elle
ouvre brusquement les yeux. Il est déjà 7h00. Elle se lève sans
bruit, reste accroupie et regarde par-dessus l'escalier. Pas de
Patrick Grosse Nique. Elle le pense tout net comme ça. Elle a envie
de lui nique sa journée, c'est ça. Elle ne pourrait pas exprimer
les choses autrement. Elle doit être vulgaire pour le dire. C'est
précisément lui niquer sa journée qu'elle veut, et quelques-unes
des suivantes aussi sans doute, par là même. C'est jamais perdu.
Elle sourit. Elle est vraiment sans pitié. Elle n'éprouve aucune
honte, aucun remords. Elle fait payer les tyrans. Elle veut les
mettre à terre, les faire baver de rage et de désespoir. Ceux qui
abusent de leur pouvoir de petits humains ridicules et qui se font
prendre pour des rois etc des dieux parce qu'ils sont trop lâches
pour admettre leur fragilité. Pour admettre qu'ils vont mourir un
jour, peut-être demain et que c'est impensable, que ce n'est pas
possible. Mais si mon pote ! Demain, peut-être tu ne seras plus
qu'un tas de boyaux. Peut-être. Pas plus valeureux ni admirable que
le SDF que tu méprises tous les matins. Elle ne sait pas, Pitay, ce
que pense Patrick des SDF. Mais les hommes comme lui sont des
simplistes. Forts versus faibles et hop ! On est parti pour la
vie. Elle se rend compte à quel point elle hait ces faux puissants,
plus lâches que tous les autres, qui profitent d'un pouvoir
indu.
Elle les tuerait. Ils énoncent haut et fort leur suprématie, ils
l'exercent, ils finissent par y croire vraiment. Ils se sourient à
eux-mêmes dans le miroir. Ils s'aiment. Ils ont réussi. Ils se sont
hissés au-dessus de leur condition. Ils sont de vrais hommes, eux.
Ils ont ce droit de veto qu'ils appliquent autant comme autant. Ils
en sont dignes. Mais ce ne sont que de plus petits hommes que les
autres, de plus fragiles encore, que la mort terrorise et qui sont
incapables de jouer ce jeu. Le jeu de l'animal qui vit et meurt, et
qui malgré tout ce qu'il s'évertuera à construire, ne laissera
presque rien derrière lui.
Mais
il s'agit seulement aujourd'hui de pneus crevés.
Elle
attend.
Elle
est heureuse.
Elle
ne sait pas pourquoi.
Elle
est libre. Elle n'attend personne ni rien. Et réciproquement. Le
monde est vide et encore plus plein.
Ca
y est ! Patrick sort. Il bougonne déjà. Ce n'est qu'un début.
Elle le suit jusqu'à sa voiture. Il est fatigué. Il râle :
« Et en plus se taper des consult' le samedi matin, merde !
Je suis con quand même ! Ah faites des gosses ! »
Il
monte dans sa voiture et démarre. Il enclenche la marche arrière.
Elle ne bouge pas. Il sent qu'elle se déplace de quelques
centimètres. Il la sent lourde. Il sort en gueulant. « C'est
quoi encore cette chiasse ! » Il fait le tour, de plus en
plus lentement. Il finit désespéré devant le 4ème pneu.
Il
est à terre, assis contre sa voiture. Il ne bouge plus. Il est comme
mort.
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