mercredi 16 août 2017

Les larmes de la liberté

Il ne sait plus se battre. Le sait-il vraiment quand il y en a besoin ? A-t-il jamais su ? Il attaque quand il n'y a rien à affronter. Quand il est seul à lutter, quand l'adversaire n'en est pas un et est pris au dépourvu. Là, il a un ennemi invisible, il est poignardé dans le dos, dans son sommeil, il est trahi. Il est impuissant. Il ne sait rien faire face à ça. Il ne sait que s'asseoir et respirer bruyamment. Il est seul, heureusement. Pitay est cachée derrière une autre voiture. Il lui fait presque de la peine. Le tyran de pacotille à terre. Le tyran de papier. Qui tout de même blesse et tue à petit feu son entourage, pour se rassurer, pour son confort. Il n'imagine rien de ce qu'il fait subir. Il trouve ça anodin. Il ne comprend rien, comme tous ces petits empereurs impunis. Ils finissent par tout perdre en général, quand le dernier enfant quitte le foyer familial et que la femme soulagée fait ses valises et le laisse à son ego tourmenté. Souvent, un des enfants se sacrifie, le sensible de la fratrie, le loyal, le coupable, la victime. Il revient, il ne laisse pas complètement seul le vieux perdu. Mais c'est une épreuve que d'être avec lui. Il s'éplore sur le monde et sa cruauté. Il se déverse en jérémiades. On ne peut pas le lancer sur un autre sujet. Il est en boucle. Il n'en sort pas. L'enfant sait qu'un jour, ça finira mal mais il n'en parle pas. Tout le monde passe à côté et construit sa vie sainement, sans le vieux fou. Il ne pourra jamais rien faire de plus pour son père. Ce sera Haricotte, Poireautte, Navette ou le petit Flageolet encore minus. On ne sait pas d'avance. On ne peut pas deviner celui des enfants qui prendra les choses à cœur, qui ne pourra pas laisser faire, lâcher prise, qui y croira et espérera malgré tout. Haricotte sera plus forte que cela. Pitay sent qu'elle ne sera pas celle qui passera tous les dimanches voir le vieux. Elle sera peut-être même loin, à l'étranger. En attendant, le Patrick est par terre parce que ses pneus sont morts eux.
Pitay a obtenu ce qu'elle voulait Mais elle sait aussi que ça ne l'arrêtera pas, le pauvre mec. Elle a autre chose en tête pour lui mettre du plomb dans la sienne. Elle y viendra en temps voulu. Pour l'instant, elle attend de voir ce que Patpat va faire. Elle attend. Lui aussi. Il est perdu. Presque il ferait peine à voir. Il sort enfin de son hébétude et passe les coups de fils salvateurs. Ca n'est plus intéressant. Elle s'en va.
Pitay marche dans la rue, sans se cacher. Pourquoi faire ? Il est bientôt 8h, à peu près, et samedi, il n'y a que les petits vieux pour sortir à cette heure encore nocturne d'hiver. Elle est libre comme l'air, elle fait ce qu'elle veut, elle a suffisamment d'argent sur elle (pas folle la guêpe !) pour manger et même se faire des petits plaisirs. Mais elle n'en a pas envie. Elle n'a envie de rien. Elle est entièrement libre. Elle l'est en apparence. Elle croyait que cela tenait à cela. Elle n'avait pas tort, elle se sent libre. Mais le cœur est serré et bel et bien prisonnier. Elle se demande ce qui lui manque, ce qui la troue là. Ce ne peuvent pas être ses parents qui manquent. Elle en a déjà fait le deuil. Presque, ils sont morts. Elle pense sans jamais le dire que là ou pas, ça ne changerait rien. Elle est seule et prisonnière avec ou sans eux. La preuve !
Pitay se met à pleurer.
Elle s'arrête au milieu du trottoir.
Elle pleure peu.
Elle ne pleure jamais.
Elle n'y arrive pas.
Patate ne savait que se détester.
Pitay n'a encore jamais pleuré.
Cela fait des mois.
Patate, Pitay, sont des déserts sans concession.
Elle s'assoit sur le muret qui longe le trottoir.
Les larmes sont chaudes.
Brûlent.
Piquent comme la mer.
Il ne faut pas ouvrir les yeux sous l'eau.
Il ne faut pas fermer les yeux devant la vérité.
Les larmes débordent.
Tsunami.
Pas de secousse sismique annonciatrice.
Pas reçue
du moins.
Les larmes prennent toute la place
dans les yeux.
Pas besoin de savoir s'il faut
ouvrir ou
fermer.
Elles ont pris la main.
Elles flottent,
affluent refluent,
elles surfent sur les globes,
jouissives.
Elles jouent aux arabesques
finissent par tomber
tout de même.
Elles roulent
sans vergogne.
Elles sont comme un poisson dans l'eau.
Pitay ne sert à rien.
Elle attend.
Elle observe le spectacle.
Elle a chaud.
Les rouleaux roulent
encore et encore.
Toutes les larmes qu'elle n'a pas
pu
avant.
Elle sera peut-être
libre
après.

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