Il
ne sait plus se battre. Le sait-il vraiment quand il y en a besoin ?
A-t-il jamais su ? Il attaque quand il n'y a rien à affronter.
Quand il est seul à lutter, quand l'adversaire n'en est pas un et
est pris au dépourvu. Là, il a un ennemi invisible, il est
poignardé dans le dos, dans son sommeil, il est trahi. Il est
impuissant. Il ne sait rien faire face à ça. Il ne sait que
s'asseoir et respirer bruyamment. Il est seul, heureusement. Pitay
est cachée derrière une autre voiture. Il lui fait presque de la
peine. Le tyran de pacotille à terre. Le tyran de papier. Qui tout
de même blesse et tue à petit feu son entourage, pour se rassurer,
pour son confort. Il n'imagine rien de ce qu'il fait subir. Il trouve
ça anodin. Il ne comprend rien, comme tous ces petits empereurs
impunis. Ils finissent par tout perdre en général, quand le dernier
enfant quitte le foyer familial et que la femme soulagée fait ses
valises et le laisse à son ego tourmenté. Souvent, un des enfants
se sacrifie, le sensible de la fratrie, le loyal, le coupable, la
victime. Il revient, il ne laisse pas complètement seul le vieux
perdu. Mais c'est une épreuve que d'être avec lui. Il s'éplore sur
le monde et sa cruauté. Il se déverse en jérémiades. On ne peut
pas le lancer sur un autre sujet. Il est en boucle. Il n'en sort pas.
L'enfant sait qu'un jour, ça finira mal mais il n'en parle pas. Tout
le monde passe à côté et construit sa vie sainement, sans le vieux
fou. Il ne pourra jamais rien faire de plus pour son père. Ce sera
Haricotte, Poireautte, Navette ou le petit Flageolet encore minus. On
ne sait pas d'avance. On ne peut pas deviner celui des enfants qui
prendra les choses à cœur, qui ne pourra pas laisser faire, lâcher
prise, qui y croira et espérera malgré tout. Haricotte sera plus
forte que cela. Pitay sent qu'elle ne sera pas celle qui passera tous
les dimanches voir le vieux. Elle sera peut-être même loin, à
l'étranger. En attendant, le Patrick est par terre parce que ses
pneus sont morts eux.
Pitay
a obtenu ce qu'elle voulait Mais elle sait aussi que ça ne
l'arrêtera pas, le pauvre mec. Elle a autre chose en tête pour lui
mettre du plomb dans la sienne. Elle y viendra en temps voulu. Pour
l'instant, elle attend de voir ce que Patpat va faire. Elle attend.
Lui aussi. Il est perdu. Presque il ferait peine à voir. Il sort
enfin de son hébétude et passe les coups de fils salvateurs. Ca
n'est plus intéressant. Elle s'en va.
Pitay
marche dans la rue, sans se cacher. Pourquoi faire ? Il est
bientôt 8h, à peu près, et samedi, il n'y a que les petits vieux
pour sortir à cette heure encore nocturne d'hiver. Elle est libre
comme l'air, elle fait ce qu'elle veut, elle a suffisamment d'argent
sur elle (pas folle la guêpe !) pour manger et même se faire des
petits plaisirs. Mais elle n'en a pas envie. Elle n'a envie de rien.
Elle est entièrement libre. Elle l'est en apparence. Elle croyait
que cela tenait à cela. Elle n'avait pas tort, elle se sent libre.
Mais le cœur est serré et bel et bien prisonnier. Elle se demande
ce qui lui manque, ce qui la troue là. Ce ne peuvent pas être ses
parents qui manquent. Elle en a déjà fait le deuil. Presque, ils
sont morts. Elle pense sans jamais le dire que là ou pas, ça ne
changerait rien. Elle est seule et prisonnière avec ou sans eux. La
preuve !
Pitay
se met à pleurer.
Elle
s'arrête au milieu du trottoir.
Elle
pleure peu.
Elle
ne pleure jamais.
Elle
n'y arrive pas.
Patate
ne savait que se détester.
Pitay
n'a encore jamais pleuré.
Cela
fait des mois.
Patate,
Pitay, sont des déserts sans concession.
Elle
s'assoit sur le muret qui longe le trottoir.
Les
larmes sont chaudes.
Brûlent.
Piquent
comme la mer.
Il
ne faut pas ouvrir les yeux sous l'eau.
Il
ne faut pas fermer les yeux devant la vérité.
Les
larmes débordent.
Tsunami.
Pas
de secousse sismique annonciatrice.
Pas
reçue
du
moins.
Les
larmes prennent toute la place
dans
les yeux.
Pas
besoin de savoir s'il faut
ouvrir
ou
fermer.
Elles
ont pris la main.
Elles
flottent,
affluent
refluent,
elles
surfent sur les globes,
jouissives.
Elles
jouent aux arabesques
finissent
par tomber
tout
de même.
Elles
roulent
sans
vergogne.
Elles
sont comme un poisson dans l'eau.
Pitay
ne sert à rien.
Elle
attend.
Elle
observe le spectacle.
Elle
a chaud.
Les
rouleaux roulent
encore
et encore.
Toutes
les larmes qu'elle n'a pas
pu
avant.
Elle
sera peut-être
libre
après.
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