Janet,
fière femme de lettres et de liberté
Un
roman sans fioritures, sobre, honnête, aussi fluide qu'une libre vie
remplie d'amours, de voyages et d'écriture. Partez à la découverte
de Janet Flanner illustre méconnue, grande journaliste d'Europe en
Amérique. Grande amoureuse de ses femmes, de son journal, et
surtout, son Paris, la ville de tous les possibles. Vous ne pourrez
que l'aimer, vous aussi.
Janet... Si l'on avait pu la connaître... Elle est attachante, elle
nous ressemble : un agrégat de contradictions qui mènent sa vie par
d'étranges détours. Elle a des rêves et les poursuit, sans
relâche. Elle est tendre, elle est généreuse, elle est loyale.
Mais ne pas compter sur sa force de caractère et sa détermination
serait une fatale erreur. Son ambition est intarissable et pourtant,
ne se joue jamais au détriment des gens. Janet est fine, humble,
séduisante, elle doute, elle veut toujours mieux faire pour elle et
pour les autres. Elle est aussi mordante, implacable quant à sa
liberté, quitte à faire souffrir ceux qu'elle aime et qui l'aiment,
son propre désir est sacré. Mais au final, « on ne pouvait
pas se fâcher contre Janet car elle était appréciée partout. »
(p.121)
Et
puis, Janet n'est pas une femme comme les autres. C'est-à-dire ?
Non, plutôt elle n'est pas la femme que l'on attend d'elle. Elle
tente de se conformer aux exigences de la société puritaine
américaine mais étouffée, elle s'en échappe avant de s'y perdre.
Janet aime les femmes et veut écrire, elle va donc vivre ses amours
et sa passion littéraire là où cela lui est permis : à
Paris, loin de son pays « pour la première fois, Janet se
sentait à sa place. » (p.116). C'est un univers de femmes que
l'on traverse avec elle. Tout un monde de femmes de lettres et
artistes aussi variées qu'il est possible d'imaginer. Certains
hommes apparaissent bien sûr, Hemingway notamment. Mais cette
famille que Janet s'est construite est une famille de femmes,
solidaires. Elles s'aiment, se désirent parfois, s'entremêlent dans
une tendresse idyllique. Elles se nourrissent intellectuellement,
dans des discussions sans fin, se galvanisent. Et grâce à toutes
ces rencontres et ces échanges, « L'entrecroisement des
univers lui paraissait le summum de la civilisation. » (p.214)
Un petit paradis s'écrit là.
Janet
est un livre sur la liberté, celle d'être une femme comme on a
envie de l'être. Celle que l'on choisit d'être parce qu'elle dit ce
que l'on est de l'intérieur. Souvent il y est question de
« féminisme » mais il ne ressemble en rien à ce que
nous connaissons. C'est un féminisme qui s'acte et se vit. Il n'est
pas dans les mots, les harangues, les manifestations. C'est un
féminisme vécu, sans tambours ni trompettes. Un féminisme qui
refuse toute aliénation et qui n'entrave en aucun cas l'amour porté
aux autres. De fait, la liberté sexuelle et toutes les autres, Janet
en jouit et les chérit.
Il
est impossible de parler de Janet sans évoquer la magnifique
fresque historique qui tient le récit. La France des Années Folles,
qu'on connaît trop peu est là mise à l'honneur. Et l'on ne peut
que valider, au regard de l'histoire de cette femme, l'appellation de
ces dix années d'entre-deux guerres. C'est une vie de bohème, une
vie de plaisirs, de fêtes, la vie de tous les possibles. En ressort
un tableau de la France ou plus précisément de Paris que sans doute
nous n'avons pas en tête. Paris est effervescente, elle attire les
intellectuels et artistes du monde entier, elle bouillonne de
création et d'innovations. Et Paris est aussi la ville de la liberté
des mœurs, où l'on peut s'affirmer homosexuel sans être un paria.
Ce monde brille de mille feux, l'on dirait une explosion perpétuelle,
l'on ne s'en lasse pas. Mais ce monde a une fin. La montée des
régimes autoritaires en Europe asphyxie peu à peu le Paris
flamboyant. La narration de la prise de conscience, au rythme de
l'intériorité du personnage est extrêmement intéressante. En
effet, l'on prend conscience de la difficulté de l'époque à
prendre conscience du danger, peut-être dans l'idée d'une sorte
d'improbabilité. Aussi avec le souvenir tenace de la Première
Guerre Mondiale. Nous qui, avec le recul jugeons aisément de la
menace que représente le nazisme entre autres, nous avons ici un
point de vue sans doute beaucoup plus humain sur la façon dont ont
pu être vécues ces années. Le doute, l'incertitude,
l'incompréhension. Et la sidération. L'humanité qui fait presque
de ce récit de la guerre un témoignage nous remet à notre place de
justiciers tardifs.
Un
hommage plein de cœur à Janet Flanner, figure oubliée de
l'Histoire. C'est pourtant elle inventa le journalisme littéraire.
Michèle
Fitoussi, Janet – Editions JC Lattès - 9782709656931