mercredi 5 septembre 2018

Chinelo Okparanta, traduit de l 'anglais par Carine Chichereau, Sous les branches de l'udala – Editions Belfond

Amours interdites en terres nigérianes


Chinelo Okparanta rouvre le thème des liaisons dangereuses. Ici, c'est de l'homosexualité dont il est question mais au fond de l'entêtement des hommes et de leurs lois, de l'entêtement de l'amour aussi. De cette lutte millénaire, qui sortira vainqueur ?

       Sous les branches de l'udala est l'histoire d'Ijeoma, depuis les années 70 jusqu'à nos jours. Elle nous raconte ses épreuves, celles d'une petite fille qui grandit dans la guerre, entourées de morts, soumise à la faim, puis surtout d'une jeune fille et femme qui devra se confronter à l'impitoyable carcan de la société nigériane. Étonnamment, la douleur de la guerre et d'un pays en feu puis à l'équilibre fragile n'est pas celle que l'on attendrait et surtout pas la seule qui abîme une vie. Loin de là.
En effet, Ijeoma aime les femmes mais cela lui est absolument interdit. On l'enjoint de se défaire de ce démon qui l'habite, de cette malédiction. Et elle prie, avec sa mère, elle lit La Bible et entend résonner « l'abomination » que ses amours représentent. Chaque jour, elle entend la voix de sa mère, écho de la voix de tous, qui lui montre sa folie. Mais elle n'entend jamais la voix de Dieu qu'elle appelle au secours tant et tant pour la délivrer du Mal, Amen.
        C'est ici une écriture brillante de l'abandon et de la séparation. Devoir s'éloigner. Devoir oublier. Devoir aimer ceux que l'on vous ordonne d'aimer. Parce que c'est ainsi. Parce qu'il n'en va pas autrement. Parce que l'on n'est pas libre d'aimer une femme quand on en est déjà une, que l'homme et la femme sont les deux roues d'une même bicyclette et qu'il n'y a pas d'autre combinaison à envisager. Peu à peu, Ijeoma s'enfonce dans une existence dont elle n'a rien choisi. Parce qu'il faut essayer, faire des efforts pour être « normale ». L'injustice est poignante. Le lecteur ne peut que sombrer comme l'héroïne dans le désespoir. Le désespoir de devoir se vider de sa vérité intérieure, de devoir se trahir, mentir et ne pas être réelle. Être celle que l'on attend de vous. Et cela parle à chacun d'entre nous, sans aucun doute.
Mais l'écriture de Chinelo Okparanta non, n'est pas brillante à proprement parler. Elle est bien plutôt mate. Franche. Charnelle. Quelque chose de profondément authentique qui donne aux émotions une intensité farouche. La douleur d'Ijeoma étreint. Et son impuissance est à hurler de rage. La poitrine bondit. Les intestins se tordent. Quelque chose de tripal.

      Chinelo Okparanta écrit l'homosexualité féminine dans la société nigériane. Impitoyable. Elle écrit la toute-puissance des traditions, de la religion et de l'Eglise, l'étroitesse de la liberté et la nécessité de se plier aux règles, sous peine de mort. Parce qu'en effet, l'auteure n'hésite pas à dire que c'est bien la mort que l'on risque au Nigeria lorsqu'on n'aime pas la personne qu'il faut. Ceux qui ne respectent pas les normes sont monstrueux. Le Bien et le Mal sont clairement définis et sans appel.
La narration ne se déroule pas de nos jours alors on peut toujours se dire que..., fiction. On peut. Mais Chinelo Okparanta veille à percuter et, sauf si l'on est un as de la cécité intellectuelle, il est impossible de ne pas entendre la réalité qui s'écrit derrière la fiction. Entendons-nous bien : ce roman n'est pas un pamphlet, n'est pas non plus un documentaire. L'héroïne raconte, coule son histoire comme une rivière accidentée, nous entraîne dans son lit : un roman. Mais comme les vrais romanciers, l'auteure cuisine le réel dans l'imaginaire et les entremêlent avec un naturel émerveillant.

       Les rêves, les contes traditionnels sont d'ailleurs là qui ponctuent le récit de merveilleux et de fantastique. Ils sont cruels et magiques, tous autant qu'ils sont. Ils empêchent le repos de l'âme. Ils prennent la place que la société vole aux sentiments. Ils révèlent l'être et chargent comme un taureau en furie : cauchemars, flashs, rêves érotiques, comptines... Peu importe la forme, l'irréfragable noyau intérieur luttera jusqu'au bout.


Chinelo Okparanta, traduit de l 'anglais par Carine Chichereau, Sous les branches de l'udala – Editions Belfond – 9782714475954 -


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