L'artiste-roi
Morty Lear est mort, dans sa Maison parmi les arbres
Un
long roman intérieur qui va et vient entre les différents
personnages et leur passé. Tout cela car le grand Morty Lear est
mort. Autour de lui continue de briller tout un monde de succès mais
aussi de questions restées sans réponses. L'occasion de penser et
repenser du début à la fin.
Il
est rare qu'un écrivain de livres pour enfants soit à l'honneur
dans un roman. Pourtant, c'est bien le cas ici. D'emblée ce héros-là
introduit ses livres dans le livre, aussi différents qu'ils soient.
Ce héros-là, Morty, est bien de ces artistes qui, même morts, sont
de trop grandes vedettes pour l'espace dont ils disposent. Ses livres
habitent le livre et lui aussi habitent la vie des autres.
Morty
vient de mourir mais tout un monde s'agite encore autour de lui.
Tommy, celle qui l'a accompagnée durant des dizaines d'années,
allant jusqu'à vivre avec lui, dans cette Maison parmi les arbres
dans le Connecticut, s'est logée plus que quiconque dans l'ombre de
l'écrivain. Elle n'est pas sa femme, ni sa compagne. Elle n'est pas
le genre de Morty. Elle est devenue son ombre, professionnelle mais
aussi personnelle. Une forme de vie que l'on ne comprend pas
réellement comme on le voudrait peut-être. Une vie par procuration,
sacrificielle. « Il t'a volée »(p.384), lui dit son
frère mais Tommy affirme l'avoir choisie, cette vie. Vraiment ?
Au
fur et à mesure, surgissent Nick, Merry, Dani, touchants,
attachants. Tous finalement si fragiles malgré les apparences
parfois. Souvent. Et mène à cette question, enfantine oui mais
juste : « Comment un être aussi beau pouvait-il souffrir
d'un tel manque ? » (p.195) Chacun a une vie qui ne
ressemble pas à celle des autres, certains ont réussi comme on dit,
d'autres non. Nick est un acteur devenu star récemment. Merry a un
poste important dans un musée de New York. Dani le petit frère de
Tommy court de petit boulot en petit boulot etc. Ils sont tous
derrière leur vernis insécures, se ressemblent, se rencontrent, se
confondent parfois. Leurs histoires familiales résonnent les uns
avec les autres, Morty mort y compris. Les mères meurent trop tôt,
les pères sont absents, les vieilles filles n'ont pas d'enfants...
Chacun est lié à l'autre d'une manière ou d'une autre. Leurs voix
et leurs pensées se font écho tout au long du roman. Car en effet,
l'on suit Tommy, Nick et Merry dans leurs élucubrations intérieures
et leurs passé et leur présent rebondissent les uns sur les autres.
Ce
qu'ils font importent peu dans le roman. C'est ce qu'ils sont et ce
qu'ils auraient pu, auraient dû, auraient voulu, ce qu'ils rêvent,
ce dont ils se souviennent qui font vibrer les pages. Sans en prendre
l'apparence, le livre aussi se cache et il est beaucoup plus
intérieur qu'il n'en a l'air de prime abord.
Tout
au long de cette histoire, il est question encore et encore de la
célébrité. Il y a l'apparence et la fragilité qu'elle masque.
Mais il y a le comble de l'apparence : un autre moi et c'est
celui des stars comme Nick ou Morty. Un autre moi qu'on enfile comme
un gant. Mais l'on voit bien ici que chacun a sa manière d'être
célèbre d'être un artiste, selon son art bien sûr mais aussi
selon ce qu'il est tout au fond et que personne en voit ou presque.
Tommy sait, elle. Mais elle est la seule en ce qui concerne Morty. La
seule au monde. Et c'est la solitude qui prend le relais.
Une
chose est sûre : la transparence est impossible. L'artiste est
ici un illusionniste, un joueur qui ne peut pas chercher la vérité.
Le sens oui mais la vérité, il ne peut que la mettre en scène.
L'art et l'illusion sont indéniablement liés.
Dans
cet art de l'illusion, règne la séduction. La star, l'artiste
célèbre, sont des séducteurs qui aimantent leur entourage. Pas
toujours conscients de ce pouvoir d'attraction. Mais le charme
ensorcelant de l'artiste ne faillit pas.
Et
une fois séduit, l'on devient une proie. Même si les intentions
sont bonnes, la séduction est un filet dont on ne se sort pas
aisément. Tommy est sans doute cette éternelle proie des artistes.
Sans violence. Mais d'une puissance enivrante.
Dans
Une maison parmi les arbres, Julia
Glass sait aussi charmer son lecteur, tout en douceur,
avec une narration rythmée, avec des pointes d'un humour aux allures
britanniques et des personnages qu'on aurait bien envie de
rencontrer, nous aussi.
Julia
Glass,traduit de l'américain par Josette Chicheportiche, Une
maison parmi les arbres – Editions
Gallmeister –
9782351781821 – 24,90€
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