Comment
s'écrire soi-même : l'écriture de l'intime insaisissable
Comment
t'écrire adieu ? Comment écrire tout ce qui tourbillonne
dans la tête, tout ce qui y chante et y flashe ? Comment écrire
ce qui ne se laisse pas dompter ? Juliette Arnaud se lance dans
cette recherche du récit de soi dans toute sa complexité.
Comme
le fil d'une pensée qui lie, relie, délie, dévie, jaillit,
foisonne, accélère et ralentit, en suspens puis repartie de plus
belle. Nous sommes plongés au cœur d'une pensée qui se déroule
presque comme si on la vivait de l'intérieur. On n'en comprend pas
tout. C'est le principe même d'une véritable subjectivité. On ne
peut pas tout saisir. C'est ainsi. Il faudrait relire et être très
pointilleux pour tout entendre et comprendre dans sa résonance avec
ce qui précède et ce qui suit.
Juliette
Arnaud nous ouvre les portes d'une sensibilité proprement singulière
et qui s'affirme dans ses paradoxes. Pas de bienséance de rigueur.
Il s'agit bien davantage d'être fidèle à ce qui anime l'intérieur
de l'être. Elle écrit sans filtre, parfois abrupte, sans prévenir,
Elle
tord la forme du roman et la plie à la forme de sa pensée :
entre parenthèses multipliées et références musicales
continuelles, elle s'affranchit de nombres de contraintes de l'écrit
et de son support silencieux de prime abord. La poésie n'est pas
silencieuse me direz-vous. Oui mais elle chante la mélodie du
langage. Ici, la musique est partout, et l'on doit ouvrir ses
oreilles en même temps que ses yeux et son esprit lecteur qui n'a
généralement pas nécessité d'oreille, ni absolue ni autre. Ici,
l'ouïe est convoquée en permanence et l'exercice est ardu mais les
chansons font aussi cette histoire. Pas seulement les mots. Une forme
d'intertextualité, pas inédite, mais rarement aussi présente.
En
parlant des mots, tous ont leur place dans Comment t'écrire
adieu, du plus soutenu au plus familier voire grossier. La vraie
vie intérieure ne fait pas le tri entre toutes ces facettes de nous
qui s'entremêlent et peut gueuler férocement que « la mémoire
est une salope. » (p.135). En écrivant nous clivons d'habitude
bien gentiment les bons et les mauvais mots, par souci de cohérence
et par souci du lecteur.
La
narratrice n'a absolument pas l'intention de prendre soin du lecteur.
Elle est exigeante. Si vous attendez que l'on vous berce. N'ouvrez
pas même la première page. Vous aurez de toute façon d'emblée le
mal de mer. Juju est complice et intime avec sa langue et ses mots,
tout l'éventail qui s'offre à elle. Elle s'arme de cette langue
sans concessions et imprévisible pour, si ce n'est malmener, du
moins provoquer et narguer le lecteur qui s'approche. Elle est drôle
elle qui est « devenue adulte. Mais pas de [s]on plein
gré[...] » (p.72), elle force au lâcher prise sur sa propre
pensée, elle force à la suivre dans les méandres de la sienne. Et
l'on doit vraiment accepter de s'y enfoncer comme dans une forêt
touffue pour lire ce roman.
Juju
tourne l'humain en dérision, exprime avec humour et pudeur une
épreuve de vie incontestablement douloureuse. L'humain est un animal
parmi d'autres et La narratrice ne se prive pas d'user de
comparaisons animales burlesques. De la mise en scène oui. De la
théâtralité bien sûr. Mais jamais sans un deuxième degré qui
remet les choses en perspective. Et puis, l'honnêteté est là et
nous accroche. Des remarques sur de tous petits riens de tous les
jours mais qui parlent, car ils sont au fond de notre tête sans
sortir de notre bouche. Politesse. Peur du ridicule surtout. Mais le
ridicule ne tue pas. Et l'honnêteté est bien plus puissante que
lui.
L'objectif
de toute l'entreprise de notre chère narratrice, c'est de parvenir à
être elle et à être où elle est. L'objectif de tout cela, c'est
d'arriver au « plein-emploi d'elle-même et c'est ardu pour les
femmes en général, […]. » (p.114) Juliette Arnaud parle au
final du fait d'être soi en tant que femme moderne qui tente tout
pour vivre libre mais pas seule.
Comment
t'écrire adieu est un roman de notre décennie. Il est
d'actualité. Il paraît léger de prime abord. Il n'en est rien. Il
virevolte et vous entraîne dans sa course infernale et comique,
celle de la vie et ses douleurs d'amour. Il est plein de sens et de
voix. Vous n'en ressortirez pas indemnes. Un coup de pied dans la
fourmilière. Peut-être qu'on aimerait bien s'autoriser aussi.
Juliette
Arnaud, Comment t'écrire adieu – Editions Belfond – 9782714479938 - 17 €
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