dimanche 16 septembre 2018

Abnousse Shalmani, Les exilés meurent aussi d'amour – Editions Grasset

L'exil en toute cruauté

Un roman puissant qui souvent laisse sans voix. L'exil bien sûr. L'amour oui. Les exilés meurent aussi d'amour. La lutte d'une enfant contre la haine familiale. Et la violence d'une pureté cruelle. La famille tueuse comme peu osent la dire. Et la liberté, envers et contre tout. Une bombe magistrale.

         On aurait envie d'un « No comment ». Ou peut-être de disserter pendant des pages. Un de ces textes difficiles à réduire aux contraintes de la chronique. Essayons donc de rester le plus fidèle possible malgré les déchirantes omissions nécessaires.
         Une famille iranienne réfugiée politique. La petite fille puis adolescente raconte : l'exil et l'incertitude sous les pieds, toujours flottante entre Paris et Téhéran. Mais l'exil est un contexte, un foudroyant déclencheur certes mais Abnousse Shalmani n'en use pas comme de ce talisman magique qui fascine les enracinés. Elle s'y refuse précisément et n'hésite pas à faire entendre au lecteur que cette fascination n'a rien à voir avec la réalité. L'exotisme du drame de l'exil politique, l'admiration du survivant. C'est la vie quotidienne de la famille Hedayat « cocon moisi » (p.142) qui constitue l'immense drame, et « les folies dont accouche l'exil » (p.210).
        L'auteure est impitoyable. Elle brosse le tableau d'une fratrie d'abord puis de toute une famille où règne la haine et le sadisme, une famille qui ignore l'amour ou le tue dans l’œuf. Cette famille est infernale. La violence de l'emprise des uns sur les autres est terriblement juste. Chacun tient son rôle dans la famille Hedayat et personne ne doit en sortir. La sentence sera sans appel si... Et précisément, la narratrice tente de toutes ses forces d'écrire et raconter pour s'échapper de la nasse putride où elle est née.
       Les personnages sont hauts en couleurs. Entendons-nous : ils ne sont pas drôles ni gentiment farfelus. Ils sont inédits. Ils sont cruels et sont prêts à ce que mort s'ensuive. La guerre qu'ils ont fuie est à la maison et l'exil est double pour Shirin, la narratrice. Elle a perdu son pays. Elle est perdue tout court. Seule dès l'enfance, en morceaux. « L'exil tue la filiation, il renverse le rapport de force. » (p.192), elle a perdu ses parents dans le refuge de Paris et de cette famille venimeuse. Enfant-soldat qui vit sous le canapé. La solitude est poignante. Quelques adultes providentiels apparaissent qui empêchent le naufrage : vous savez ceux-là même qui, à proprement parler, vous sauvent la vie et aident à « relier [les morceaux] pour devenir quelqu'un » (p.99)
             La culture iranienne n'est pas épargnée par le mordant du regard de Shirin. Elle évoque la place de la femme où « le corps de la femme n'existe pas » (p.221), la violence admise, le culte du malheur que l'on tient en respect, la politesse démesurée : « Aucun peuple au monde n'a poussé aussi loin dans l'absurde l'art de la politesse. » (p.285) etc. La colère est latente, permanente et la révolte gronde dans ce roman douloureux.
            Exilés politiques : il y est donc question de politique ou plus subtilement du rapport des personnages à la réalité. La politique est un prétexte pour entrer en relation avec le monde. L'idéalisme est ici battu en brèche dans un formidable plaidoyer pour la philosophie de l'entre-deux, de l'androgynie, du relatif. L'idéalisme exacerbé par l'exil de Mithra, Tala, Zizi, Amir et tous les autres mènent à la cruauté, l'humiliation, la folie : en naîtra sans que personne n'en entende rien, et pourtant Dieu sait que le silence est assourdissant, un sociopathe. Le fruit de toute cette violence tue : la figure vengeresse attendue.
           Le seul vrai havre est l'amour. L'Amour pour mieux dire, qui est l'antinome de l'Idéal, selon Shirin. Elle l'apprend hors les murs et elle y découvre son corps et son âme, son entièreté. Elle y puise de quoi bâtir une nouvelle lignée, libre. Pas d'amour fleur bleue. Ce luxe n'a aucune place ici. L'amour qui attache un quelqu'un à un quelque part.


Abnousse Shalmani, Les exilés meurent aussi d'amour – Editions Grasset – 9782246862338



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire