L'archéologie
de soi : les origines
Elle
se cherche, elle se souvient, elle avance et devient, se trouve pas à
pas, au fil des rencontres. Elle fouille son enfance et sa jeunesse,
dans le pire comme le meilleur à la recherche du sens de son désir
et de ses amours. Nina Bouraoui nous livre une écriture des abysses
de l'être, cet univers profond qu'on méconnaît souvent et qui
pourtant nous fait tenir debout et parfois bancals.
Puisque
Tous les hommes désirent naturellement savoir, Nina Bouraoui
ne fait pas exception et se lance dans la quête des origines de sa
différence. Ce livre raconte l'histoire de l'homosexualité, et par
là, la quête de la continuité de l'être et du désir. Malgré
toutes les ruptures et le déracinement. C'est l'écriture de la
jeunesse qu'elle n'a pas perdue et qui contient l'adulte à venir :
« Je viens d'elle et elle m'annonçait. » (p.13).
On
peut penser à l'histoire de la Tour de Babel et à la différence
des langues qui séparent définitivement les divers peuples humains.
Au départ, la petite fille d'Algérie ne s'interroge pas ou peu sur
l'ineffable, l'incommunicable. Elle échange avec sensualité et
plaisir avec le monde qui l'entoure : sa mère, sa nounou, Ali
et la nature si variée et riche. Même si elle n'est pas dupe :
elle sait déjà qu'elle se distingue, elle sait déjà qu'elle
est « le fils qui manque » (p.117). Et puis, la
jeune femme devenue parisienne sent combien sa langue se démarque de
celles de la majorité. Elles sont si peu à la parler : c'est
celle du Monde des femmes. Alors elle lutte pour se cacher. Elle
lutte pour se libérer. Elle désire, elle a honte. C'est la guerre
intestine.
Le
récit de cette douleur est poignant. La jeune femme se contorsionne
pour tenter d'allier ce qu'elle aime et désire, les autres femmes,
et la normalité qu'on attend d'elle et dont elle est persuadée.
Elle se tait. Elle devient experte pour n'être ni vue ni connue.
Mais elle brûle d'autant plus fort qu'elle s'efforce de s'éteindre
elle-même.
L'angoisse
qui s'est emparée d'elle lui colle à la peau. L'origine de la
peur ? La narratrice ne s'embarrasse pas de précautions
langagières : « La famille est le terreau de la peur. »
(p.191) Bien, nous sommes donc fixés sur ce point. Sans rancœur
mais avec conviction, elle dépeint la famille, la sienne en
l'occurrence mais elle n'est qu'un exemple parmi d'autres, qui
s'évertue à oublier, mentir, cacher, enfouir. Sa capacité à
taire, elle la puise dans sa généalogie. Alors elle écrit comme
pour conjurer le sort. L'écriture pourrait sauver du secret et du
trou noir qu'il laisse à sa place. Tous les hommes désirent
naturellement savoir est comme l'effacement de l'ère du secret.
Aussi
douloureux que soit le texte par moments, la poésie n'en est jamais
évincée. Le réel est objet de toutes les superstitions et
imaginations possibles. Le rêve est là, parfois cauchemardesque,
parfois délicieux. En tout cas, où qu'elle vive et quoi qu'elle
raconte, la narratrice le fait avec une sensibilité des profondeurs.
Même le plus brutal se transforme sous l'alchimie de sa plume et son
esprit. Tout n'est pas tendre, loin de là. Mais tout se rêve et
s'écrit autrement, semble-t-elle nous dire. Quand la vie est un
supplice, la poésie s'immisce aussi, fantasmatique, haute en
couleurs. « Mon Algérie est poétique. Hors réalité. »(p.38)
écrit-elle. Elle est terre de désir, terre de nature, de liberté.
Elle est le paradis perdu qu'elle se refuse à perdre. Mais son Paris
n'en est pas moins poétique, même si plutôt de noir et blanc.
Peut-être justement que ce paradis qui vit en elle, toujours, qui ne
finit jamais teinte tous les autres mondes qu'elle écrit.
Avec
Tous les hommes désirent naturellement savoir, nous
entrons dans une danse ininterrompue où les souvenirs se font écho,
s'éclairent mutuellement, se répondent. Se reconstruit sous nos
yeux une jeunesse qui s'était éparpillée, apparemment, mais qui en
réalité est une solide origine du monde. Un texte d'une immense et
désarmante finesse.
Nina
Bouraoui, Tous les hommes désirent naturellement savoir –
Editions JC Lattès –
9782709660686 -
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